Coulrophobe

-P-

     mardi, 01 novembre 2016, 02h36_

   J'ai peur. J'ai vraiment la trouille, putain ! Je me suis réfugié dans un local à poubelles, après une bonne heure passée sur les nerfs. Anselme ne s'est toujours pas réveillé, je ne sais même pas s'il est inconscient ou s'il dort profondément, ce chanceux. J'aimerais tellement dormir moi aussi...

   Est-ce que je préfère mourir de fatigue et d'épuisement, ou bien sèchement décapité par un taré déguisé un soir d'Halloween ? Je ne m'étais pas trompé, cette soirée est véritablement mémorable...

   J'ai froid, j'ai faim, je suis un peu plus crevé chaque seconde, et surtout, j'ai peur. Ça doit faire cinq minutes que je suis là, mais j'ai l'impression que ça fait un siècle. C'est long, bordel. Je stresse comme un dingue. Ils peuvent revenir, me trouver, à n'importe quel moment. Qu'est-ce qu'ils vont me faire ? Qu'est-ce qu'ils vont nous faire ?

   Je serre mon sac contre mon ventre et me recroqueville. Je tremble. Je me semble faible, vulnérable et minuscule. Je suis pas une tapette, bordel ! Ou au moins, je ne veux pas l'être... J'espère ne pas l'être.

   Je retiens difficilement mes larmes, je ne veux pas craquer, je ne peux pas craquer. J'ai une réputation à tenir, et même si personne ne pourrait me voir... Je serre les dents. Qu'est-ce que ça peut faire, au fond, de pleurer de trouille ?

   Je pense aux gens du lycée. Je pense à mes potes, aux élèves de ma classe. Finalement, je ne sais plus si on vaut mieux qu'une bande de mecs non-populaires. Je pense à ceux qui rient des plus faibles. Des phobiques, par exemple. De l'eau, du noir, des araignées, du vide...

   Moi, ce soir, j'ai peur des clowns. Je suis devenu un putain de coulrophobe. Je ne sais pas si ça durera toute ma vie, ni si je me l'avoue vraiment.

   Ils riront. Tous. Et ça me fout la haine.

   "Alors, le millionnaire, on se chie dessus quand on voit un clown ? Hou, fais gaffe, y a aussi des fantômes à Halloween ! Ha, ça fait moins le malin d'un coup !"

   Mais pourtant ce serait complètement con de sortir maintenant, seul, sans plan, l'esprit pas clair.Ce serait comme se présenter directement à ces putain de tarés et leur dire "tuez-moi". Je peux même pas appeler les flics, qui me croirait ? Sérieux, j'ai 16 ans...

   Mais les autres ? Ils sont où, bordel... Ils sont vivants ?

   Et Cassiopée ? Je pense à elle tout le temps... Je veux la revoir avant de mourir, vivante. Je veux qu'on s'embrasse et qu'on s'aime avant de me faire trancher la gorge. Même si je meurs ce soir, si j'ai revu Cassiopée... ce ne sera pas pareil.

   Je crois que je n'ai pas peur de la mort, mais j'ai peur de mourir. C'est possible, ça ?

   Je sais pas ce que je dois faire.  Est-ce que je reste ici à ruminer mes idées noires ? Est-ce que je veux mourir sans avoir rien fait ? Est-ce que je suis courageux ? C'est tellement plus facile dans les jeux vidéo...

   Je crois que je vais risquer le tout pour le tout. De toute façon, je n'ai plus rien à perdre... enfin je crois.

   Je me lève, prenant soin de caler confortablement Anselme entre deux poubelles, protégé par l'obscurité ambiante. Je fais trois pas incertains, les jambes chancelantes. Si je me fais choper, est-ce que j'aurai la force de me débattre ?

   Je jette un regard prudent dans la ruelle silencieuse, jette mon sac sur mon épaule, le cœur battant.