OMBRE - Les âmes d'Ombre

Chapitre 1 - Tommy

Il savait bien qu'il n'en avait pas envie. Cette idée le tenaillait depuis le début de la semaine, mais une promesse qui avait été faite se devait d'être tenue, surtout lorsqu'il s'agissait de sa mère. L'idée de retrouver la Gaspésie pour l'été ne l'enchantait guère. La ville lui plaisait, Montréal lui manquerait et à bien y penser, il n'y avait pas que de la métropole qu'il s'ennuierait.

Il descendit les marches de l'UQÀM, son sac à dos laissant porter son poids sur son épaule. Il baissa la tête lorsqu'il croisa d'autres étudiants, un réflexe qu'il avait depuis qu'il était jeune, et se dirigea sur le boulevard de Maisonneuve pour retrouver son appartement, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon. L'orage qui avait grondée durant son dernier examen de session avait gorgé l'air de son humidité et le soleil de midi, au contact de l'asphalte, dégageait une odeur de soufre qui alourdissait la respiration. Tommy déboutonna le haut de sa chemise tentant tant bien que mal d'absorber le plus d'oxygène possible dans l'air étanche de la ville.

Elle lui avait dit hier qu'elle travaillerait aujourd'hui. Il fit donc un léger détour pour passer devant le dépanneur où Gabriela devrait être encore à cette heure-ci. Il l'a vit par la fenêtre et cette même émotion qui l'agitait à chaque fois refit surface. Comme un rayon de soleil dans les jours de pluie ou comme un chocolat chaud dans le froid de l'hiver, seul le regard de Gabriela avait le don de le ramener à la vie, de le laisser être qui il était vraiment.

Il ouvrit la porte et vit la longue file qui s'allongeait devant Gabriela qui s'affairait à la caisse.

— Sushis? lança-t-il à son attention sans plus de préambule.

Elle reconnut le son de cette voix familière et lui sourit un instant par-dessus les têtes de la cohorte.

— Oh oui sushis, vraiment! chanta-t-elle de sa douce voix et retourna sans plus attendre à sa tâche, le visage refermé, en redonnant le change à un client et sortant le paquet de cigarette d'un autre régulier qui n'avait même pas eu besoin de lui demander sa commande.

Tommy ressorti aussitôt, le cœur battant la chamade, envahi d'un bonheur intense, d'un amour grandissant. Le soleil le frappa de plein fouet lorsqu'il retrouva la rue et des gouttes de sueur commencèrent à déferler le long de son cou, mouillant les mèches de ses cheveux en bataille et le col de sa chemise lavande. Ses pensées se retournèrent vers Gabriela tandis qu'il poursuivait son ascension en direction de chez lui. Il ne connaissait que peu des sentiments que Gabriela pouvait avoir envers lui et il n'osait poser la question. Ils étaient amis, du moins c'était l'idée qu'il se partageait de leur relation, mais Tommy savait que tout son être vibrait sur un rythme autre que celui de l'amitié. L'amour avait pointé le bout de son nez depuis déjà plusieurs semaines, mais sa timidité le ralentissait. La peine qui envahissait Gabriela était un mur difficile à franchir. Il ne pouvait se soumettre à l'idée de la perdre si les sentiments n'étaient pas partagés. Un été loin d'elle n'aidait en rien à sa cause. Ce matin en se levant, il s'était promis qu'il lui parlerait. Que la réponse soit positive ou négative, ils auraient l'été pour y réfléchir chacun de leur côté. Soit sombré dans l'ennuie ou mourir de peine. Deux émotions pas très éloignées l'une de l'autre qu'il lui faudrait affronter.

Il retrouva rapidement l'entrée principale de son appartement et monta les marches deux par deux pour atteindre l'étage. Il trouva la porte déverrouillée, entra et entendit Conor qui sifflotait sous la douche. L'ontarien d'origine devait quitter en fin d'après-midi pour rejoindre sa famille dans sa ville natale. Fanatique de football, il avait passé son enfance sur le terrain à s'entraîner, mais avait subi une blessure au dos qui l'avait forcé d'arrêter. Raison pour laquelle il avait pris la décision de quitter l'Ontario pour venir s'installer au Québec afin d'oublier et repartir à zéro, dans une nouvelle université.