Chapitre 2 - Gabriela

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Elle savait bien qu'elle n'en avait pas envie. Travailler aujourd'hui ne ressemblait à rien de bon pour elle. D'un autre côté, faire autre chose que de ruminer de noires pensées mettrait un baume sur sa lassitude. Les cauchemars s'étaient multipliés dans les dernières nuits et elle avait cessé d'en parler à Tommy pour éviter de nourrir ses inquiétudes par rapport à elle. Sa présence était déjà plus généreuse qu'elle ne l'aurait souhaitée. Elle savait qu'il l'aimait. Les filles ressentent ce type de chose. Mais cela ne faisait pas d'elle une fille plus prête à l'accepter ou à s'engager. Il y avait trop de choses qui se propageaient dans son esprit en ce moment.

Elle était déchirée depuis tant d'années maintenant. Depuis le début du coma de sa sœur, elle avait mis sa propre vie en veilleuse et ne pouvait se résoudre au bonheur. Les gens croyaient à une tentative de suicide et elle s'était elle-même laisser prendre à cette idée au début. Près de cinq ans plus tard et des milliers de nuits aux rêves les plus insensés, elle commençait à croire à une autre raison. Une force extérieure à la puissance inhumaine. Elle n'avait d'autres mots pour le décrire. Devoir garder ces pensées pour elle la rendait malade. Elle ne se voyait pas à partager ses démons intérieurs aux autres, pas même à Tommy pour qui elle avait beaucoup d'affection. Le jugement serait probable - facile - et lui rendrait la vie que plus complexe.

Depuis les deux derniers jours, elle se sentait attirée par quelque chose. Un tourbillon à l'intérieur d'elle-même qui semblait vouloir lui arracher son âme. Elle aurait voulu mettre des mots sur sa douleur. C'était comme un grand froid qui la submergeait. Elle n'arrivait plus à fermer l'œil la nuit à force de lutter contre cette attirance, vers ce qui lui semblait le vide - un néant infini. Elle s'était levée ce matin avec des étourdissements qui lui avaient fait perdre pieds à deux occasions dans le corridor entre sa chambre et la salle de bain. Elle avait été soulagée à l'idée que sa coloc avait dû quitter la veille, elle n'aurait pas voulu être vue dans cet état lamentable. Une longue douche chaude était parvenue à lui faire reprendre ses esprits et une barre énergétique accompagnée d'un café avaient réussi à lui donner suffisamment d'énergie pour attaquer sa journée. Mais elle se sentait en changement. Comme si le lâché-prise était entrain de la gagner. Comme si des morceaux d'elle-même commençaient à s'effriter et partir dans l'inconnu.

C'était comme si... Comme si Elizabeth se rapprochait d'elle. Elle secoua la tête pour chasser cette idée et accéléra le pas lorsque la pluie commença à tomber et que le ciel qui recouvrait la ville d'épais nuages menaça de libérer sa rage d'un instant à l'autre. Elle arriva juste à temps au dépanneur et s'y engouffra au même moment où l'orage commença à prendre du rythme. Le tonnerre gronda si fort à l'extérieur qu'elle entendit à peine la sonnette d'ouverture de la porte du dépanneur. L'air humide avait fait friser ses cheveux bruns qui flottaient librement au-dessus de ses épaules. Fort heureusement, elle avait prévu apporter un élastique pour remédier à la situation et elle s'empressa d'aller aux toilettes des employés. Elle salua au passage Marcus, le propriétaire, qui avait effectué l'ouverture ce matin. Il lui restait encore un bon dix minutes pour se sécher et se refaire une tête avant de s'installer à son tour derrière la caisse.

Elle examina son regard dans la glace tout en retirant la pierre précieuse qu'elle portait à son cou, dont le cordon était maintenant humide. Il faisait étrangement froid dans l'entrepôt pour une journée de canicule et un frisson la parcouru des pieds à la tête. Des mèches que cheveux s'étaient collés à son front dans un mélange d'eau et de sueur. Les cernes sous ses yeux semblaient se creuser de plus en plus chaque jour, ressemblant bientôt à des cratères. La fatigue se dessinait par les milliers de veine qui rougissaient son regard. Sa peau avait blanchi et on aurait pu croire qu'elle devenait de plus en plus grise. Elle sortit de son sac un far à joues pour se remettre des couleurs et appliqua une fine couche de rouge à lèvre rose pâle pour se redonner de l'éclat.

Elle s'approcha de la glace, loin d'être satisfaite du résultat. Dans son mouvement, son sac à main glissa sur le bord du comptoir et son contenu s'étala sur le sol. Elle leva les yeux au ciel et poussa un long soupir avant de se pencher pour ramasser le tout. Dans des mouvements brusques, elle s'activa pour remettre dans son sac les divers objets, lorsqu'elle senti comme un courant d'air. C'était même trop précis pour être un courant d'air. On aurait dit une main froide qui se glissait dans son cou. Elle resta d'abord figée sur place, accroupie au sol et n'osait plus bouger. L'invisible froideur semblait s'étirer sur sa peau et elle eut l'impression qu'une main se resserrait sur elle pour bloquer sa respiration. Des images de sang déferlèrent devant ses yeux qui se noyèrent de larmes. Une odeur de soufre lui monta au nez et l'air semblait s'être vidé dans la pièce. Elle se voyait seul au milieu du néant. Sombrant dans la mort la plus probable. Un mot lui vain alors à l'esprit: « Ombre ». Sans comprendre pourquoi ni savoir d'où cela lui venait, comme si quelqu'un ou quelque chose lui soufflait ce mot à l'oreille. L'air ne semblait maintenant plus vouloir entrer dans ses poumons. Elle entendait le raclement de sa gorge nouée qui s'efforçait de nourrir ce corps d'oxygène sans le pouvoir. Elle senti la panique monter en elle. Une brume épaisse semblait la couvrir et elle n'allait pas y survivre.

On cogna soudainement à la porte. Gabriela se releva d'un geste abrupte et se retourna sur elle-même. Sa respiration était haletante et son regard paniqué parcourait tous les recoins de la pièce. Des tremblements commencèrent à parcourir son corps et elle se sentait sur le point de perdre le contrôle d'elle-même.

Gabriela? Est-ce que ça va? lui souffla Marcus au-travers la porte barrée.

Elle referma les yeux et pris une grande respiration. La chaleur semblait étrangement vouloir reprendre de l'espace dans la petite salle de bain de l'entrepôt, ce qui l'aida à recouvrir un peu de détente. Elle eue un bref sourire en coin en se disant que ceci ne devait être le fruit de son imagination ou une cause de la fatigue de fin de session. Elle ouvrit la porte pour découvrir l'italien debout devant elle, affichant un air inquiet.

Ne t'inquiète pas Marcus... problème de fille. Lui exprima-t-elle le plus calmement possible en essayant d'afficher un léger sourire.

Marcus afficha un air désolé et se retourna pour répondre au client qui venait d'entrer. Gabriela le regarda partir en s'appuyant sur le bord du cadre pour reprendre son souffle et sortit de la salle de bain en oubliant derrière elle quelques babioles qu'elle n'avait pas terminé de ramasser.


OMBRE - Les âmes d'OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant