Chapitre 2: Ayden

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19  février 1943, Charleston (Etats-Unis)

Je place au fond de mon sac mes affaires de toilette et une tenue propre constituée de la copie exacte de ce que je porte actuellement : un marcel, un pantalon kaki et des sous-vêtement. Les deux seules choses que je ne prends pas en deux fois sont mes Rangers et ma veste. J'y place aussi ma gourde avec son quart et sa housse. Je vérifie si ma pince coupante est bien dans son étui et si mon carnet de dessin et mon crayon à papier sont bien en place. 

— N'oublie pas ta gamelle... souffle maman en me tendant la boîte contenant mes couverts. 

Je la glisse dans le sac et me retourne. Je rangerai tout bien une fois arrivé à la base. 

Aujourd'hui, c'est le vrai départ. Un camion va passer pour que je retrouve mon régiment. J'ai passé cette année à me préparer au combat. J'ai eu la chance d'avoir été choisi pour ce programme d'entraînement ultra-sélectif.— Tu es sûr de vouloir partir ? me redemande maman. — Ce n'est pas que je le veuille, mais je dois le faire... L'armée nous attend. — Mais... mais tu es mon garçon ! Ils m'ont déjà pris un fils !

Mes épaules s'affaissent. Penser à mon grand frère me fait toujours l'effet d'un coup de poing dans le ventre. Lui et moi n'étions pas très proches à cause de notre différence de caractère, cependant, une réelle affection nous liait. Son caractère rêveur et enfantin le rapprochait davantage de mon petit frère Jonathan.

—Je te promets que je reviendrai sain et sauf. Je suis entraîné maintenant. De plus, tu as Jonathan. Tu devrais te dire que certaines femmes sont encore plus malheureuses que toi. Certaines viennent de perdre leur unique enfant à Pearl Harbor, d'autres vivent dans le chaos depuis que la guerre a éclaté. C'est pour ces personnes là que je vais me battre. Pour leur permettre d'avoir un futur plus brillant que celui de la guerre.

Ma mère me sourit à travers ses larmes. Sa main vient caresser mon crâne à demi chauve. J'ai rasé mes cheveux pour ne pas attraper de poux et parce que l'armée me l'impose. Cette nouvelle coupe me fait une tête plus carrée et un visage plus dur. Mes yeux noirs complètent le tableau du «mauvais gars». Qui pourrait croire que derrière ce mètre quatre-vingt-dix, ces yeux noirs et cette musculature se cache un gamin de vingt-trois ans, étudiant en architecture et pacifiste dans l'âme ? — Tu es beau mon garçon.Maman se recule et enlève sa bague de fiançailles. — J'aimerais que tu la gardes. Elle te protégera comme elle a protégé ton père il y a vingt-cinq ans. Tu n'es pas obligé de la porter au doigt. Simplement, garde la dans la poche.

Je lève un sourcil, suspicieux. Quelque chose cloche dans ce beau discours.

— Et qui sait ? Peut être que tu rencontreras une belle jeune fille qui fera follement battre ton coeur... Continue-t-elle.

Je ne peux m'empêcher de rire et lever les yeux au ciel. Voilà le fin mot de ce cadeau ! —Je me disais aussi, je rigole.

Ma mère essaie de me caser depuis que j'ai été accepté à l'université. En vraie entremetteuse, elle m'a arrangé de nombreux rendez-vous avec « la cousine de Marie-machin » ou encore la « voisine des cousins truc habitant à New York ».

— À la guerre Maman ? Tu ne recules devant rien. — Je ne ferme les yeux sur aucune piste, affirme-t-elle.Nous sommes interrompus par mon père qui rentre dans la chambre. — Ayden. Il est temps. Le camion est arrivé. J'attrape mon sac et descends. Jonathan vient me faire un câlin. Je me surprends à dire la phrase la plus banale au monde: — Fais attention à toi et protège maman. Elle aura besoin de toi.Mon père et ma mère ne s'aiment plus depuis bien longtemps. Ils s'étaient fiancés au sommet de leur amour, avant que mon père ne soit appelé à partir à la fin de la Grande guerre. Maman était déjà enceinte de Peter Junior, à l'époque, ils pensaient s'aimer de toutes leurs forces. Seulement, lorsque papa était revenu, il avait changé : il n'était plus le jeune homme insouciant dont ma mère était tombée amoureuse. Malheureusement pour eux, Peter Jr était né et leurs familles exigèrent le mariage. Nous n'avons pas été élevés dans du coton : nos parents ont toujours eu des aventures extra conjugales. Papa se fiche de ma mère et cette dernière prend soin de lui car sa nature à vouloir aider tout le monde est plus forte. Si elle mourait demain, je ne suis pas sûr que papa serait triste.

— Tu verras, ce ne sera pas si horrible ! Qui sait, peut être aimeras-tu être militaire ? Me souffle mon paternel lorsque je lui dis au revoir.

Mon père ne m'a jamais encouragé dans mon choix d'étude. Selon lui, architecte est « un métier de fillettes ». Il aurait souhaité pour moi une carrière militaire comme celle de mon grand frère.

Maman est la dernière à me dire au revoir. Elle me donne sa bague représentant son ancien amour pour mon père. — Porte toi bien, Ayden. Je veux que tu rentres à la maison en un seul morceau.

Je lui offre un sourire et monte dans le camion. Nous sommes peu: quatre. — Bienvenu parmi nous, soldat Collin. Nous nous arrêterons encore quatre fois pour prendre d'autres personnes.

Il referme la porte et nous quittons la rue de mon enfance, celle où je suis né et où j'ai grandi. — Salut ! Je suis Asa ! Se présente un homme à ma droite. J'accepte sa poigne. — Ayden. Par choix ou obligation ? Lui dis-je en faisant référence à la guerre.

— Nous sommes tous obligés d'une certaine façon, non ?

Je pense que je vais bien m'entendre avec ce rouquin aux yeux verts et au sourire éclatant. Il est rafraîchissant. — Je suis Simon. Un homme légèrement plus jeune que mon père m'offre sa main. Ses cheveux grisonnants et son ventre rebondi me rappellent mon grand père. — Enchanté. Vous avez déjà servi ? M'avisé-je en montrant du doigt son insigne de major.

— En effet. Pendant la Grande Guerre. J'ai combattu dans la baie de Somme dans le Nord de la France. Pendant un an. Cela a suffit pour me promouvoir Major ! Tu es bien calme, gamin... Est-ce ton habitude ou l'anxiété ? — Un peu des deux je suppose. Je ne suis pas bête et encore moins idéaliste. Nous en avons pour longtemps. Dans le meilleur des cas, je reviendrai changé et dans le pire, dans un cercueil. — Je comprends mieux ton silence. Tu veux un conseil, gamin ? Ne pense pas à ça. Plus tu y penseras, plus tu démotiveras les troupes, plus les erreurs seront nombreuses, alors oui tu finiras entre quatre planches. Par expérience, tous ceux qui sont revenus de la guerre ont réussi à tenir grâce à leur moral et à un bon sourire affiché sur leur visage. Je ne te dis pas que cela va totalement te protéger. Tu peux toujours mourir, même en ayant la banane mais au moins tu meurs heureux. Si tu veux te confier, viens me voir, mais devant les autres, garde la patate et tout ira bien.

Son discours est motivant mais est-il vrai ? J'en doute fortement.

21 février 1943, Charleston (Etats-Unis)

— Garde à vous ! Crie le général depuis le fond de la baraque. Je place mon havresac sur les barreaux du lit et me place devant, droit comme un piquet.

— Vous partez cette nuit pour l'Angleterre. Demain vous serez en Europe et les choses sérieuses commenceront. Vous connaissez vos missions.

D'une seule voix nous affirmons ses dires. — Oui Chef ! Il part et nous retournons vaquer à nos affaires.

— Ayden, tu viens ? On va acheter des clopes, me propose Asa.

J'attrape le peu de dollars qui me reste et pars avec Asa et Simon. L'air de la Caroline du Sud va me manquer. Avoir vingt degrés en hiver est un luxe.Nous nous dirigeons vers l'épicerie. Elle est vide. Tous les régiments se préparent au départ. Certains sont allés prendre une bière, d'autres préfèrent profiter une dernière fois d'un bon lit. Le magasin est si petit qu'il ne propose que trois produits: des chewing-gums, des allumettes et des cigarettes. J'achète trois paquets d'allumettes et vingt de cigarettes. Je préfère ne pas manquer. D'autant plus que les rumeurs disent que seules les Américaines sont bonnes.En sortant, j'en allume une avec Asa. Simon est silencieux. C'est rare. — Regardez ce ciel ! S'extasie le rouquin. J'observe silencieusement l'horizon. Il a raison. Le soleil commence à se coucher et laisse place à un ciel rose et rouge. À l'horizon se dresse l'océan. L'Atlantique.

Demain, pour la première fois de ma vie, je compte quitter ma terre natale pour le Vieux Monde.

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Merci!
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