VI

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Cela faisait deux heures maintenant que Loki avait verrouillé la porte de l'intérieur et avait mis la clef dans un coffre fort. Et lui seul connaissait la combinaison, évidemment. Harleen avait senti le découragement l'envahir, plus violent encore que la terreur sous-jacente qui menaçait de rejaillir à chaque geste brusque. Elle aurait cru avoir fait le tour des horreurs qu'il pouvait lui imposer. La torturer. La violer. Bien que cela ne semble pas être sa tasse de thé. La menacer. La terrifier. La manipuler. Lui faire du chantage.

Pourtant, chaque nouvel avertissement, chaque inflexion un peu plus menaçante, la laissaient pantelante, le cœur battant, le souffle coupé. Lui redonnaient l'impression d'être une gamine qui ne savait rien.

Finalement, en désespoir de cause, elle s'était enfermée dans la salle de bains, sous la douche. L'eau chaude dégoulinait le long de ses épaules, dans ses cheveux. Sur son visage, elle se mêlait aux larmes salées que la jeune femme ne pouvait plus réprimer. Elle voulait que ça s'arrête. Maintenant. Elle voulait rentrer chez elle, en revenir à sa petite vie banale sans soucis majeurs. Se préoccuper de l'homme qu'elle voulait draguer, se prendre la tête parce qu'il paraissait insensible à ses avances. Se chamailler avec Aaron, sortir en boîte, sourire. Le sourire semblait être quelque chose d'inconnu, pour ses muscles faciaux, en ce moment.

Dès qu'elle sortit de la douche, elle se planta face au petit miroir embué, passa un coup de serviette dessus pour le nettoyer. Se fixa. Elle avait les yeux rougis. De larges cernes. Des poignets violacés à cause des menottes qu'il lui avait imposées pendant près de trente-six heures. Elle observa ses lèvres. Essaya de leur arracher une mimique amusée. Un sourire. Même sans dévoiler ses dents. Juste faire frémir ses commissures. Les faire remonter.

L'effort lui parut immense. Et la seule chose qu'elle obtint réellement fut une grimace qui était loin d'être convaincante. Voire franchement risible.

Elle eut à nouveau envie de pleurer. Comment pouvait-on faire autant de mal ? N'avoir aucune considération pour le mental des autres ? S'amuser, même, à les détruire ?

— Princesse, dépêche-toi un peu...

Elle se mordit les lèvres. Elle ne pouvait pas sortir ainsi. N'osait pas sortir, en fait. Terrifiée à l'idée qu'il ait pu préparer quelque chose pendant son absence. Elle se regarda à nouveau dans le miroir, espérant peut-être y trouver le courage de faire face à sa situation. Mais elle n'y vit qu'une petite fille, qui essayait désespérément de paraître adulte. Et qui, actuellement, n'y arrivait absolument pas. Elle serra les poings.

— Allez, Amy... se murmura-t-elle, réutilisant sans même s'en rendre compte le surnom affectueux que lui avait donné sa mère, des années plus tôt. Courage. C'est juste un mauvais moment à passer. Ça va aller.

Elle pivota, voulut attraper les vêtements de voyage roulés en boule qu'elle avait laissés près de la porte. Et découvrit qu'ils avaient disparu, remplacés par... une robe ?!

†††

Loki patientait, adossé contre l'armoire. Il avait hâte de voir la réaction de la jeune femme. Voir si elle se laisserait aller, et se montrerait aussi détruite qu'elle était intérieurement, ou si elle se composerait une façade. Voir, aussi, si la robe lui irait. C'était entre autres l'une des choses qu'il avait pues arranger avec la propriétaire du lieu, une ancienne agente d'H.Y.D.R.A. retirée du service depuis des années. Une... connaissance, par l'intermédiaire du sceptre, dont elle était toujours sous l'influence, presque par miracle.

Loki n'aurait, a priori, jamais espéré avoir une chance de retomber sur l'un de ses serviteurs, encore en état de lui obéir. Il pensait que l'influence du sceptre aurait été dissipée depuis longtemps. Mais, durant la nuit, il avait appelé la femme depuis une cabine téléphonique qu'il avait trouvée dans une petite ville sur leur route. N'avait prononcé qu'un code. Huit chiffres. Et avait obtenu la réponse escomptée. Aussi était-il certain d'être en sécurité lorsqu'il s'était garé devant le motel. Au moins pour quelques heures.

Harleen finit par pointer le bout de son nez par la porte, presque timidement, particulièrement intéressée par le tapis brunâtre qui couvrait le sol. Elle n'osait visiblement pas croiser son regard. Loki attendit, muet.

— Je... je ne... Qu'est-ce que vous voulez de moi ?

— Qu'est-ce qui te fait croire que j'attends quelque chose ? répliqua-t-il, narquois.

Elle garda la tête basse, perdue. Il finit par la forcer à relever le menton pour la fixer dans les yeux.

— Je n'aime pas dîner avec des gens mal habillés, finit-il par glisser, commissures frémissant tandis qu'il essayait de réprimer un sourire.

Les sourcils de la jeune femme s'infléchirent, ses yeux s'arrondirent, tandis qu'elle détaillait ses vêtements à lui. Pour l'occasion, il portait un pantalon noir et une chemise blanche, lisses comme s'ils avaient été repassés à même sa peau. Un autre prêt de l'agente d'H.Y.D.R.A.

— Dîner ?

— À moins que tu n'aies pas faim ?

Il savait que ce n'était pas le cas. Elle n'avait littéralement rien avalé depuis la veille, à part une ration de survie dénichée sous l'un des sièges. Mais elle devait avoir l'estomac noué par la nervosité, à ses côtés. Pitoyable. Mais drôle à observer.

— Non, non... enfin, si, j'ai faim ! Mais...

— Mais ?

Elle inspira profondément. Et Loki faillit lui faire remarquer qu'il y avait du progrès. Quand il lui parlait, il avait toujours l'impression qu'elle était en apnée. Effet secondaire de leur première rencontre ? Il en doutait. Elle était bien la seule à se comporter ainsi avec lui.

— Vous m'avez espionnée ? fit-elle enfin, forçant sa voix à rester relativement stable.

Loki fronça un sourcil, ne voyant pas ce qu'elle voulait dire par là.

— Espionnée ? Pourquoi aurais-je espionné une pathétique mortelle ?

Elle pâlit sous l'insulte. Avala de travers, manqua de s'étouffer. Lorsqu'elle eut enfin repris son souffle – encore ! – elle marmonna :

— Vous êtes entré dans la salle de bains pendant que...

En comprenant enfin où elle voulait en venir, Loki ne put s'en empêcher. Il éclata de rire. Ce qui, étonnamment, parut encore plus la blesser que le fait qu'il ne la considère que comme une simple mortelle peu digne d'intérêt.

— Je souhaitais uniquement m'assurer que tu mettes la robe et non tes précédents vêtements.

— Mais vous...?

— Tsss. Sujet clos. Peut-on y aller ?

La main tendue n'était qu'une fausse invitation. C'était un ordre. Encore une fois. De mauvaise grâce, et toujours un peu incertaine quant aux intentions de son bourreau, Harleen ne put que s'y plier.


Psychosis 1 : Blissful sorrow [Marvel/DC]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant