IV

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Ils avaient roulé durant huit heures, avec seulement un court arrêt à une station d'essence pour refaire le plein alors que le réservoir était presque à sec. Et l'homme qui s'était penché à la fenêtre pour leur demander ce dont ils avaient besoin n'avait pas remarqué les menottes. Comme Loki l'avait prévu. Il avait presque ri, en revanche, en voyant l'air désespéré de la jeune femme, qui n'osait pas protester, ni appeler à l'aide. Il l'avait prévenue qu'elle risquait plutôt de causer d'autres morts que de se sauver. Et, pour le moment, ces petites menaces glissées de temps à autre, entre deux conversations faussement banales, semblaient plus qu'efficaces.

Récemment, ils avaient dépassé la ville de Denver, et roulaient toujours vers le nord du continent. Loki n'avait pas laissé Harleen deviner où il comptait aller ainsi. Il se contentait de surveiller les panneaux sur le bord de la route, et d'indiquer de temps à autre si elle devait prendre à gauche ou à droite. Il voyait bien, à son air fatigué, et égaré, qu'elle ne tiendrait pas beaucoup plus longtemps. Elle était sur les nerfs, sans cesse crispée. Apparemment, le stress était néfaste pour les humains. Mais il faisait encore jour. Et Loki souhaitait encore avancer. Prendre le plus d'avance possible.

- Je... j'ai besoin d'un café... et... d'aller aux toilettes...

Elle avait finalement osé. Il se contenta d'un bref regard, hocha la tête, mais ne dit rien. Intérieurement, il souriait. Elle était si terrifiée qu'elle osait à peine parler, généralement.

Finalement, une dizaine de kilomètres plus loin, il lui fit signe de s'arrêter sur une aire de repos vide. Elle se gara, suivant ses indications, juste à côté d'une cabine de toilettes transportable, laissée là pour des voyageurs en long périple. Il descendit, contourna le véhicule, détacha l'un de ses poignets. Elle fila immédiatement s'enfermer dans la cabine. Il sourit, narquois. Fit un rapide tour pour vérifier qu'elle n'avait pas d'échappatoire, faisant tourner entre ses doigts le téléphone, qu'il lui avait subtilisé sans même qu'elle ne s'en aperçoive. Il l'éteignit, puis le jeta dans le fossé qui bordait l'autoroute. A priori, le temps que quelqu'un le retrouve, ils seraient déjà loin.

Quelques instants plus tard, Harleen ressortait, un éclat de résignation au fond des yeux. Loki lui fit signe de grimper, du côté passager cette fois-ci, où il la menotta à nouveau. Puis, il fila s'installer sur le siège conducteur avec une pointe d'excitation presque enfantine. C'était la première fois qu'il conduirait lui-même ces engins. Et Odin savait qu'il adorait piloter. Que ce soient des vaisseaux asgardiens ou une voiture, même s'il n'avait aucune idée de la manière dont cette chose fonctionnait. Mais il avait déjà compris qu'il fallait mettre le levier sur « P » pour empêcher le véhicule de bouger, et « D » pour pouvoir avancer. Il essaya de le faire basculer. N'y parvint pas. Fronça un sourcil. Voulut forcer, puis se rappela à quel point ces constructions pouvaient être facilement détruites. Or, s'il n'avait plus de transport, il aurait de gros problèmes. Il recula un peu son siège, hésita. C'était risible. Lui, le dieu de la malice, l'un des meilleurs pilotes d'Asgard, ne savait pas faire démarrer un vulgaire véhicule midgardien. Quelle vaste blague.

- Dis-moi, princesse... fit-il.

Harleen tressaillit, mais se tourna vers lui. En le voyant, elle parut immédiatement deviner son problème, et un mince sourire affleura à ses lèvres. Loki eut envie de la gifler. Mais se retint quand elle parla, sans même qu'il aie à demander.

- La pédale droite, c'est l'accélérateur... La gauche, c'est le frein. Pour changer de place le levier, il faut maintenir le frein enfoncé à fond.

Loki exécuta les instructions en fronçant les sourcils. Ces humains n'avaient décidément aucune logique... Pourquoi appuyer sur le frein si on voulait faire avancer le véhicule ? Mais, comme pour contredire ses pensées, le levier bascula sur « D » lorsqu'il réessaya en appliquant les conseils de sa passagère. Il relâcha précautionneusement le frein et... miracle, la caisse métallique se mit en mouvement. Il faillit grincer des dents, s'engagea précautionneusement sur la bretelle qui le ramènerait sur l'autoroute.

Au bout d'une dizaine de minutes à conduire silencieusement, slalomant entre les autres véhicules avec l'adresse d'un chauffeur né - il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre les principes de base de la conduite terrienne - il éleva à nouveau la voix pour s'adresser à sa compagne de route :

- Princesse ?

- Arrêtez de m'appeler ainsi...

- Pourquoi devrais-je ?

Elle roula des yeux, et Loki sourit. Il voyait bien qu'elle était encore nerveuse. Mais la fatigue semblait avoir pris le dessus sur sa peur. Maintenant qu'elle n'était plus obligée de suivre la route, ses yeux se fermaient doucement.

- M'as-tu conseillé par bonté d'âme, ou en escomptant quelque chose en retour ?

Harleen parut hésiter. À moins qu'elle ne lutte contre le sommeil. Finalement, elle répondit, assez sincèrement :

- De toute façon, je suis coincée avec vous, apparemment. Je n'ai pas forcément envie de me faire torturer pour un oui ou pour un non...

- As-tu vraiment une si basse opinion de moi pour croire que je pourrais te torturer ? releva-t-il, faussement blessé.

- Vous avez bien envahi New York pour faire de nous des esclaves... Qu'est-ce qui vous empêche de nous faire du mal d'une autre manière ?

Regard fixé sur le long serpent gris qui s'étendait devant lui, parcouru de monstres rugissants dans les deux sens, Loki sourit.

- Effectivement... Dois-je en conclure que tu serais prête à faire bien plus pour te préserver ?

†††

Qu'est-ce qu'elle était prête à faire pour ne pas souffrir ?

C'était une excellente question, au fond. Et Harleen n'était pas sûre d'aimer la réponse qu'elle avait pour le moment. Car la réponse disait qu'elle pouvait abandonner sa dignité, sa fierté, son courage, ses valeurs, juste pour quelques instants où elle se sentirait en sécurité. La peur irrationnelle, qu'elle avait difficilement réussie à dompter pour l'instant, la guettait toujours. La guetterait encore longtemps, elle le sentait. Dicterait chacun de ses choix, comme elle l'avait fait jusqu'à maintenant. L'obligerait à dire la vérité sur tout, ou presque, pour ne pas entendre à nouveau la menace dans cette voix basse.

Elle se sentait faible. Influençable. Terrifiée. Encore et toujours. Indigne de l'entraînement qu'elle avait reçu. Inutile. Incompétente.

Et ça lui donnait envie de pleurer. De se cacher, loin de la vue de tous, roulée en boule, et de ne plus jamais ressortir. De faire l'autruche, éternellement.

- Je ne sais pas, murmura-t-elle enfin, se maudissant intérieurement.

Loki ne répondit rien. Voyant qu'ils étaient partis pour deux bonnes heures de silence, comme le matin même, Harleen se mura dans le mutisme, ressassant l'horreur de cette journée. Devant ses yeux, dans ses muscles, elle revivait chaque instant depuis qu'elle avait rencontré Loki. Elle voyait les coups de feu partir, les corps s'effondrer, sentait à nouveau sa gorge obstruée, ses poumons dilatés qui essayaient de capter ne serait-ce qu'un peu d'air. Revivait chaque battement de cœur terrifié, qui lui prouvait qu'elle était vivante malgré tout.

Le regard dans le vague, perdue dans ses souvenirs, elle ne se sentit même pas sombrer dans un sommeil agité.

†††

Hmmm... la pauvre Harleen n'est pas particulièrement sereine... On compatit et on essaie de l'aider, ou on la laisse mariner dans son jus encore un peu ? :-P

Psychosis 1 : Blissful sorrow [Marvel/DC]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant