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New Jersey - Janvier 1982

Je fixe depuis de longues minutes l'espace vide entre le classeur et la tête de Ben, mon intervenant attitré. Tout le monde vague à ses occupations laissant la maison plongée dans un silence déstabilisant, m'obligeant à entendre mes pensées qui se chamaillent entre elles. Fixer un point et garder le contrôle.

– ... tu peux te répondre à toi-même si tu préfères, me propose-t-il.

Qu'est-ce que je voudrais changer ? Mais quelle question. Je pourrais répondre simplement : ne jamais avoir consommé d'héroïne, mais ce n'est pas la réponse qu'il attend de moi. Il sait que je suis capable d'aller encore plus loin.

Qu'est-ce qui m'a poussé à consommer ? J'ai beau chercher et chercher, ça reste un mystère. Il manque des morceaux dans ma tête. Je croyais à tort que cette thérapie m'offrirait les réponses sur un plateau d'argent sans trop d'effort. Non.

Des regrets... Je crois encore à la majorité de mes discours parce que malgré mes erreurs, j'ai toujours dit ce que je pensais en lien avec ce que je vivais.

«Seuls les faibles peuvent tomber dans le vice, il suffit de faire gaffe». Voilà ma devise à l'époque. Mon père m'a déjà dit « Je ne ferais rien pour changer ton idée, mais je vais m'en souvenir pour te narguer le jour où tu commenceras à en chier, où tu réaliseras que toute cette merde est beaucoup plus forte que toi.»

Je l'ai compris le jour où mes nuits sont devenus cauchemardesques, que mon cerveau appelait la mort, que mon corps bouillait et dégoulinait de sueur, et que je comptais chaque minutes en priant le seigneur pour que ça s'arrête. Mais ça n'arrête pas. Eh non, pas tant que le mec louche qui t'a oublié ne vienne à ton secours après quelques heures d'agonie

– Pourquoi ne pas lui avoir dit à Angie ce que tu avais consommé cette nuit-là.

– Elle n'a rien demandé, conclus-je en soupirant.

– Elle a quand même dit que tu étais... étrange.

– Ahahah, vous êtes sérieux, me moqué-je.

– Pourquoi je ne le serais pas !

– Est-ce que vous m'écoutez quand je parle ? Parce que, si oui, vous avez certainement remarqué que ça tourne plutôt carré ici, dis-je en pointant ma tête, et je suis clean, alors vous imaginez quand je consommais, ajouté-je en éclatant de rire.

– Vous êtes un jeune homme très brillant Harry, même trop, constate Ben.

Brillant... quand je regarde le film de ma pauvre vie, je me demande où il voit le génie en moi. Il est sûrement aussi séquelle que tout le monde ici pour penser sérieusement ce qu'il vient de dire.

– Ton ouverture d'esprit, ton sens créatif et ta vison des choses t'ont amené à voir ce que plusieurs ne voient pas et ça fait peur jeune homme. La vraie face du monde t'a foutu la trouille et ta tête s'est mise en mode protection.

– Je-je, bégayé-je, non je ne lui ai pas dit à Angie, pour revenir à votre question.

– C'est un truc que tu fais souvent ? 

Fanatique (H.S.)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant