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New Jersey - Avril 1982

L'hiver tire à sa fin et le printemps commence à bourgeonner. Tout autour, la végétation se métamorphose avec hésitation, elle change, pour le plaisir de tous, mais au fond tout reste pareil. Tout est différent en apparence. L'hiver n'est qu'endormi, il reviendra. Parfois plus fort et d'autres fois moins. Nous l'oublierons et puis nous nous souviendrons. La vie est ainsi faite, elle fabrique ce que nous aimons et le brise par la suite.

C'est un peu ma vie... toujours à la recherche de quelque chose qui n'est pas là. Mon petit quelque chose que je n'ai pu identifier. Quelquefois désappointé et d'autres fois désorienté, j'attends toujours et encore l'illumination qui ne vient tout simplement pas.

Tout comme l'hiver, on m'a pelleté ici, on m'a réouvert d'abrasifs pour me faire fondre, mais il n'a suffit que la température atteigne le point de congélation lors d'une journée plus fraîche pour que le petit animal affligé que je suis, erre d'une pensée à une autre et se fige à nouveau en un bloc de glace.

– Harry ! Ta mère est arrivée.

Dans un soupir, je m'appuie contre le tronc d'un arbre. Elle s'approche en silence. La détresse et le chagrin qui naviguent dans ses yeux me frappent avec une rare intensité.

Son regard croise le mien l'espace d'un instant et s'arrête ensuite sur celui de Ben, comme si elle attendait son approbation pour franchir les quelques marches en pierre qui nous sépare. Elle semble perdue, on pourrait croire que nous sommes deux étrangers.

– Comment vas-tu ? me demande-t-elle gentiment en posant sa main contre ma joue.

– Je vais bien maman.

- Je suis désolé d'avoir pris autant de temps à venir, c'est que...

Et elle se met à pleurer.

– Je ne sais pas de quelle manière réagir devant tout ça, je ne sais pas comment m'y retrouver, ajoute-t-elle en essuyant ses larmes de la paume de sa main.

Elle pivote et me fait face. Rapidement, un sentiment d'oppression m'enveloppe. J'étouffe. Je sens ma peine s'empoisonner, elle parcourt chacun de mes organes vitaux et les réduit en cendres.

- Où ai-je manqué à mon rôle de mère Harry, dit-elle en éclatant en sanglots, qu'est que j'ai négligé de faire, demande-t-elle, en s'agrippant à moi.

- Tout va bien ici ? demande Ben.

Ma mère secoue la tête laissant sous-entendre que non, rien ne va plus.

- Oui ça va, je m'empresse de répondre.

Elle me dévisage d'un air désolé. Désolé de quoi ? Désolé d'avoir un garçon aussi minable que je suis.

– Harry, je suis venu pour te remettre quelque chose et je voulais le faire personnellement, parvient-elle à dire.

Elle prend ma main, déplie mon poing et y dépose un petit objet. Un objet froid et doux. Et elle replie mes doigts sur celui-ci.

– Ils ont trouvé ça la semaine dernière.

Mes doigts s'ouvrent doucement. Épris de tremblement je les referme aussitôt.

– Où l'ont-ils trouvé ?

– Harry, dit-elle avec hésitation.

Elle essaye de choisir les bons mots, elle faisait la même chose quand j'étais gamin. Elle refusait de me blesser. Peut-être aurait-elle dû le faire d'avantage.

– Aller m'man dit le. Putain dis-le moi maintenant.

– Sur la rive, derrière le chalet.

Le chalet. Cet endroit qu'elle aime tant. Angie adorait s'y rendre lorsqu'elle se sentait mal. Je n'ai pas assez de doigts pour compter le nombre de fois où elle s'y est réfugiée, au point où j'avais caché une clé en dessous d'un pot de fleurs.

– Êtes-vous retourné au chalet ?

– Non. Pas depuis le jour où...

– Qui l'a retrouvé alors ? la coupé-je.

– Monsieur Wilson en faisant le ménage de la rive et il nous a appelés, il croyait que c'était à ta sœur.

Ben me parle, je l'écoute, mais là seule chose qui atteint mes oreilles sont des bourdonnements. Mon corps se tord de rage, de peine, mais aussi de peur. Pour la première fois de ma vie, j'ai peur. Peur de moi.

– Harry ne me regarde pas comme ça ! me supplie-t-elle.

Toute forme de vie semble m'avoir abonné. Je vois en moi une sorte de transparence, comme si l'épuisement avait atteint mon corps. Je fixe le ciel, sans vie, comme un oiseau à qui l'on a brisé les ailes.

Mes doigts se resserrent fortement sur la petite chaîne.

À quel moment je ne souffrirai plus aussi cruellement ton absence. Tu t'éloigne  de plus en plus de moi. Mais en même temps, je te sens si près, un peu comme une amputation. On sent toujours bien le membre, mais on ne le voit pas.

Une amputation de l'esprit.

Longtemps, je suis demeuré là à attendre. Attendre que des larmes ruissellent sur mes joues. Mais rien. Rien parce que pleurer fait trop mal. La vie me l'a bien enseigné. Je n'ai jamais eu le courage de répéter l'expérience et ce même dans le silence complet et l'isolement. Je ne peux m'abandonner à la douleur que les larmes produisent, je préfère la souffrance du mal.

Ma belle Angie. Pardonne-moi. Je n'ai pas eu le courage de te rejoindre. J'ai eu peur. J'ai eu peur de traverser les grandes portes. À toi seule, tu as parcourus le chemin. Tu devais être terrorisé. J'ai tenté de t'imaginer, j'ai essayé de te voir et te sentir. Mais je n'y suis pas arrivé. J'avais besoin d'un signe. Et je l'ai maintenant.

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•Hurt – Johnny Cash•

Fanatique (H.S.)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant