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New Jersey - Mai 1982

Mes parents, ont longtemps espéré de grandes études pour leur fils, un boulot qui les rendraient fières et même des petits enfants à cajoler, mais je crois que la vie en a décidé autrement. Pour moi il n'y aura jamais rien de tout cela. Seulement des cataclysmes toujours plus impressionnant les uns que les autres.

Accompagné d'une minuscule valise, d'une tête en bouillie et de genoux bondissant d'angoisse, je me laisse conduire jusqu'à la voiture de Randy.

Une énorme boule dans le creux de mon estomac me fait extrêmement souffrir depuis que j'ai répondu « oui » à la question de Ben. Oui, je suis certain de la décision que je prends. Je quitte le centre.

Je n'ai pas envie de contact humain et Randy le remarque sûrement, car il évite toute conversation à mon plus grand bonheur.

– Tiens, dit-il en m'offrant une barre chocolaté.

Du chocolat. Je crois que la dernière fois que j'en ai mangé, ça remonte à l'automne dernier. C'est bon.

C'est une chaude journée, les bulles fondent rapidement entre mes doigts. Je regarde rapidement sur la banquette arrière à la recherche de mouchoir, mais il n'y a rien. Je les lèche avant de les essuyer sur le devant de mon vieux t-shirt. Rien à faire foutre l'imprimé est presque tout effacé de toute manière. C'est ça la vie après tout, on fout aux poubelles tout ce qui est usé.

Randy, est un peu comme moi ; ancien toxico, devenu dealer, il préfère le silence au bruit. Peu bavard, il se contente de me conduire à l'endroit où je pourrais en toute quiétude faire le vide.

Moi qui vis au jour le jour depuis une éternité, je peux enfin visualiser un après. Un demain qui sera sans doute différent du demain que j'attendais hier.


À mon arrivée, épuisé, je me suis assoupi environ une heure, jusqu'à ce qu'un rêve me rappelle la triste réalité.

Elle était proche, je la sentais. Toujours et encore la même chose. Ce rêve récurrent qui ne cesse de se recycler et de s'éclaircir à chaque fois.

Viens !, répète la voix à plusieurs reprises.

Entre ces exclamations, mes yeux se lèvent pour mieux voir la silhouette au loin qui m'implore de la suivre. J'ai l'impression de la connaître, la sensation que je peux lui faire confiance, je sens qu'elle est là pour une raison, mais j'ignore laquelle.

Une seconde plus tard, je suis encore là, sur le rocher, à fixer les vagues invitantes.

Mon cerveau reprend violemment conscience et m'envoie des signes inintelligibles, inspiré par la panique et la peur. Une maison vide, sans l'être, que je regarde depuis l'extérieur. Mais à chaque fois que je veux faire un pas vers l'intérieur, quelque chose me retient. Je suis aspiré par le vent et retenu par les branches d'arbres.

C'est bien ici que tu t'es enfui.

Je l'ai su dès que j'ai posé les pieds à l'intérieur. L'odeur et l'oppression que provoque la mort sont clairement palpable.

Pendant que je te cherchais partout, c'est ici que tu étais. J'aurais dû y penser. Au final est-ce que, c'est ce que tu voulais que je n'y pense pas. Ce matin-là, tu ne quittais pas mon esprit et j'ai compris qu'il se passait quelque chose. Je me suis senti soulagé, libéré d'un poids. Un lourd fardeau que je trimballe depuis toujours.

Elle avait six ans et moi huit. Elle était toute petite. Vulnérable. Innocente. Dans sa tête d'enfant, j'étais le meilleur, le plus fort, le plus beau et le plus fin. Un super Harry. C'est comme ça qu'elle m'appelait. Elle croyait que j'avais tout, que je connaissais tout, elle s'imaginait que du haut de mes huit minuscules années d'existence, j'étais le roi du monde. Une croyance qu'elle n'a cessé de faire grandir, jusqu'à n'en mourir.

Un rôle difficile à porter.

Et lorsque son modèle s'est éclipsé, elle n'avait plus aucun point d'ancrage, aucune force pour affronter la vie et elle s'est laissé couler.

– Angie ! crié-je à m'époumoner.

Alors que mon cerveau se la joue clean depuis des semaines, mon corps réclame l'apaisement. J'ai presque réussi à y croire. Je ne peux m'empêcher de rire lorsque, je pense au fric que mon père a investi dans cette cure de désintox. La réussite de celle-ci est semblable à moi, un gros zéro.

Je ressens comme un énorme poignard dans le creux de mon ventre. À mon plus grand malheur personne ne m'a poignardé, ce n'est que cette foutue addiction qui réapparaît. Cette diablesse qui s'amuse à jouer avec moi. Cette peur qui me déchire le corps.

Je veux voir ce qu'elle a vu, je veux goûter à nouveau au délire qui agonise les sens et les faits s'envoler comme un oiseau qui cherche à fuir la froideur de l'hiver.

J'ouvre la lumière, je n'ai pas pris le temps de me regarder dans un miroir depuis des lunes. Physiquement, je ne suis plus qu'une merde, être toxicomane c'est la fin de tout.

La réalité a repris ses droits. Seringue à la main, je me promets que cette fois sera la dernière.

Je peux enfin respirer. Mon corps se détend et j'ai le sentiment que c'est la première fois que je respire depuis des mois. Ça me rappelle lorsque j'étais à la piscine et que je sautais du plongeon. Souvent, je n'avais pas emmagasiné assez d'air à l'intérieur de mes poumons pour rejoindre la surface. Je pouvais voir la lumière du soleil à travers l'eau, mais ma remonter était trop lente. Je suffoquais, étouffé avec l'eau au goût de chlore, qui brûlait l'intérieur de mon nez.


Trempé de sueur froide, je marche en ligne droite, m'éloignant du chalet. J'ai froid et je tremble. Je ne sais pas exactement ce que je m'en vais faire, en fait, si, je veux être à tes côtés Angie. Je veux quitter ce corps dans lequel je me suis toujours senti aussi mal.

Le ciel est aussi bleu qu'un lagon, tacheté de petits nuages blanc. Le vent qui se heurte contre moi est chaud. J'aime la perception de n'être que le dernier humain de la terre, prisonnier de mon corps, de ce cadeau empoisonné, qu'est la vie.

Je ne ressens plus rien, je suis vide de l'intérieur. Je ne veux plus me forcer à rire, à m'amuser, rien n'est franc et encore moins sain.

Aucune peine, aucune joie. Je n'ai plus cette flamme qui m'animait autrefois. Cette flamme de vie. Je me console en me disant que ma courte existence aura servi aux autres. Sans les gens malheureux, les gens heureux paraîtraient moins comblé.

Je ne suis pas encore mort, mais plutôt inerte, prisonnier de mon existence et c'est pire que tout. Je ne crois pas que la vie vaut la peine d'être vécue de cette façon. Je ne vois aucune issue pour me libérer autre que celle-ci.

Je lève les yeux entre le ciel et la terre et c'est le vide.

Le grand vide...

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Fanatique (H.S.)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant