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•Reno (Nevada) - Avril 1979

Encore un autre samedi, détrempé par la pluie d'avril. Grossièrement, assis sur le dossier du banc où reposent mes pieds, je zieute ma setlist pour ce soir. À l'extérieur d'un pub minable, je cherche encore de quelle façon, je vais être en mesure de passer à travers une autre soirée.

Un ramassis de parcelle de vie qui se gâche d'heure en heure, assombrissant mes journées, les unes après les autres. Je suis en plein naufrage, dans un monde, sur lequel, je me suis échoué comme un mammifère marin à la dérive.

Hey toi ! Là-bas, dans le froid, qui est de plus en plus isolé, qui vieillit, peux-tu me ressentir ?

Pourtant, je devrais être heureux : mon projet musique fonctionne bien, mes parents sont venu me voir chanter d'ailleurs, il y a quelques semaines. Si tous semblent s'exalter, je sais bien qu'au fond, ma mère aurait préféré que je devienne avocat et que je gagne un bon salaire. Comme mon paternel.

Hey toi ! Debout dans l'allée, ne les aide pas à enterrer la lumière. Ne cède pas... sans te battre.

Je fais défiler dans ma tête une à une les chansons que je dois interpréter ce soir, mais une en particulier attire mon attention. Les paroles insensées, le côté absurde qui te permet de te l'approprier.

Elle marque ma fascination pour l'abstrait, qui ne cesse de s'intensifier. Que sont-elles supposées dire. Ce n'est pas que de la tristesse, non. N'importe quel idiot peut écrire un texte à l'eau de rose. C'est au-delà de tout ça. C'est un mélange de significations dissimulées, de métaphores et d'obscurité. Le fruit d'un pur génie.

Le soleil commence à descendre tout doucement sur la ville de Reno. Ses rayons cuivrés se perdent à travers les édifices où des milliers d'escrocs se préparent tranquillement à mettre leur jeu en fonction. Reno, c'est la petite sœur de Las Vegas. La ville de l'ignorance où tout est beau, bon et aveuglement dysfonctionnel. Il n'y a que ces rayons cuivrés qui me rappelle que la terre tourne autour du même soleil pour tout le monde et ce peu importe où tu te trouves.

Bien que la température ait chuté sur la ville de l'arnaque, une moiteur luisante colle toujours à mon visage. En tapotant ma poche arrière, je retrouve le paquet de cigarettes que je cherche depuis le déjeuner.

La nicotine m'étourdit, peut-être que je devrais manger... Déjeuner avec autre chose que de la dope ça devrait être ça la vie après tout.


– Tes là ! Tout le monde te cherche.

À l'entrée du pub, l'homme me fait un signe familier et les autres membres du groupe ont tous les yeux braqués sur moi.

– Je suis là, pas besoin de s'énerver.

– Si t'as besoin de te reposer un peu, dis-le mec.

La musique est la seule chose qui me tient en vie, si jamais je l'abandonne, c'est comme si je signais mon arrêt de mort.

Je sens leur regard sur moi. C'est peut-être parce que j'ai besoin d'une douche, d'un coup de rasoir ou de changer de vêtements, mais l'effort que cela demande est loin d'être mes priorités du moment.

– Ça fait combien de temps que tu n'as pas dormi ?

– Quelques heures, mentis-je.

– Ton dernier repas date de quelle année ?

Tout semble pire que je voudrais l'admettre. Comment m'avouer que la bête qui sommeillait en moi s'est brutalement réveillé. Ce n'est pas la peur du jugement des autres le problème, c'est la peur de me juger moi-même. Parce que le jour où tu as honte de la personne que tu es, c'est le jour où tu reconnais que plus rien ne va et c'est à ce jour que tu dois envisager de modifier ta vie. Et ça, c'est foutrement épeurant. C'est le moment où tu dois te confier. Le jour où tu dois confier tes pires peurs, tes pires démons.

Fanatique (H.S.)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant