V. Je n'étais que le spectateur du carnage.

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A S H L E Y

- Maman ?

Je rentrai dans l'appartement, au troisième étage de l'immeuble de banlieue dans lequel elle habitait. Tout était ravagé. Le salon était retourné dans tous les sens, laissant des magazines dont les pages étaient à moitié déchirées par terre. Le canapé était écroulé à plusieurs mètres de sa place initiale et la télé avait chuté du meuble en chêne. Je savais très bien pourquoi. Mon père avait dû passer faire un coucou. On aurait dit que la pièce avait été saccagée par une tornade -  la tornade, c'était mon père.

Un sentiment de colère s'empara de moi et je dus serrer les poings pour ne pas aller retrouver ce qui me servait de paternel et lui péter la gueule. Je regardai une des chaises, cassée par terre. Un souvenir parcourut mon esprit alors que j'étais assis sur les genoux de ma mère sur cette même chaise quatorze ans plus tôt.

- C'est Papa ?

- C'est Papa.

Ma gorge se serrait. Pourquoi avait-il fait du mal à Maman ?

- Pourquoi je ne le vois plus ? Où est-il ?

Encore un pincement de lèvres.

- Il est en prison, chéri.

Maman avait menti. Mon père n'était jamais allé en prison. Il n'avait jamais cessé de lui pourrir la vie. Ce n'était pas un déménagement qui allait l'empêcher de tuer petit à petit ma mère. À cause de lui, Maman avait besoin de moi pour ne pas sombrer. Et aujourd'hui, il l'avait encore une fois bien fait comprendre.

Je savais donc parfaitement où trouver ma mère. Je m'avançai vers la salle de bain, et comme je m'y attendais, je la retrouvai assise sur le rebord de la baignoire, des cotons et du désinfectant dans les mains.

- Je vais bien, Ashley, je vais bien.

Sa voix tremblait encore, ce qui fit redoubler ma colère.

- Je vais le tuer putain, je vais le tuer !

Je me mordis le poing en la voyant dans cet état.

- Ça va. Vraiment.

- Non, ça ne va pas !

J'avais crié, la faisant sursauter. Cela me procura un frisson, je ne voulais pas avoir le même effet que mon père sur elle.

- Je suis désolé. Viens.

Elle se leva, sans rien dire, encore toute tremblante. Je l'aidais à se déshabiller avant de l'épauler pour la mettre dans la baignoire. J'ouvris le jet, réglai la température puis laissai l'eau chaude couler le long de son corps taché de bleus. Je lui lavai délicatement les cheveux tandis qu'elle s'aspergea le visage d'eau. Ma gorge se serra à la vue de l'eau qui s'était teinte de rouge et je dus faire un effort considérable pour ne pas la laisser en plan afin d'aller défoncer l'homme qui lui avait fait ça, et qui de plus était mon père biologique. Une fois que toute la mousse s'était échappée de ses cheveux, je la séchai puis l'habillai avec des vêtements propres.

- Ça ne peut plus continuer comme ça, Maman.

- Ce n'est pas aussi simple que ça Ashley, et tu le sais, elle me répondit.

- Tu te souviens de ce que tu m'avais dit quand on avait déménagé la première fois ? Tu m'avais dit "Il fallait que je l'éloigne de notre vie. Ça allait finir par te bousiller tôt ou tard". Mais aujourd'hui et depuis toujours, c'est toi que ça bousille, Maman. Cette fois c'est à moi de veiller à ce que tu ailles bien.

Elle se triturait les doigts.

- Si tu t'en mêles c'est toi qui vas finir bousillé.

Elle releva ses yeux humides vers moi.

- Je suis désolée Ashley. Je suis désolée que tu aies un si mauvais père, désolée que tu n'aies pas eu une enfance normale. Ça me fend le coeur de voir que j'ai échoué dans mon rôle de mère.

Ses paroles. Sa vulnérabilité. C'était mon père qui l'avait rendue comme ça.

- Ne culpabilise pas à sa place. Maman. Tu nous as fait déménager à l'autre bout de l'état pour que je lui échappe. Tu as fait de ton mieux pour que je sois heureux. Malheureusement, les mauvaises personnes jouent leur rôle de mauvaise personne. Mais tu as fait tout ce qui était en ton pouvoir pour me permettre de vivre comme un enfant normal. Je ne veux plus jamais t'entendre dire ça, tu as été la meilleure mère qui soit.

Je venais de finir ma tirade quand la porte s'ouvrit dans un grincement. La tête aux cheveux grisonnants de mon paternel fit son apparition et je me mordis les joues pour ne pas aller lui foutre mon poing dans la figure. Il entra dans l'appartement, tout habillé de gris, et lorsque ses yeux sombres - les mêmes que les miens, je détestais cela - se posèrent sur moi, il haussa les sourcils, d'un air surpris.

- Tiens, une réunion de famille ?

Je me levai et il s'approcha. Il me dépassait d'un bon dix centimètres, mais je ne me laissais pas impressionner.

- Tu ne salue pas ton vieux père, fiston ?

Il essayait de me déstabiliser, mais je ne me laissais pas faire. Je valais mieux que lui.

- Tu parles de père, maintenant ?

Il me sourit hypocritement.

- Je suis ton père, que tu le veuilles ou non. Ce n'est pas ta crise d'adolescence tardive qui va y changer quoi que ce soit.

- Va te faire foutre.

Son sourire s'élargit. Connard. Il se décolla de moi puis s'adressa à ma mère, qui était terrifiée.

- J'avais oublié de te dire quelque chose.

Son visage répugnant s'approcha du sien.

- Je t'aime, tu le sais, ça ? il lui souffla.

Apeurée, Maman hochait doucement la tête. Il lui embrassa les lèvres, et à ce moment là, mon sang ne fit qu'un tour. Je le dégageai vivement d'elle en balançant mon poing dans son flanc, sans même réfléchir. Après avoir lâché un grognement, il me regarda, à moitié étonné. Il se rapprocha de moi, mais je ne reculai pas. Je n'étais plus le garçon faible d'il y a quelques années. À présent, je pouvais défendre ma mère.

- Tu sais ce qu'il va arriver si tu refais ça, fiston ?

Les jointures de sa main rencontrèrent ma mâchoire, cependant je ne réagis pas. Il voulait que l'on se batte. Il n'attendait que ça. Mais je n'allais pas lui donner ce plaisir.

- Tu sais ce qu'il va arriver si tu fais obstacle entre moi et ta mère ?

Je ne détournai pas les yeux. Connard.

- Il se trouve que ta charmante maman  en payera les frais.

Je n'ai pas su me contrôler. Les coups s'enchaînèrent et je n'étais plus maître de mon corps. Je n'étais que le spectateur du carnage.

L'eau reste silencieuse Où les histoires vivent. Découvrez maintenant