E L I S A B E T H
9 Septembre 2021 - Vingt-trois ans
"Il faut que tu partes, Beth. Il faut que tu vives ta vie."
Voilà ce que m'avait dit Papa. Papa aimait beaucoup parler. Encore plus depuis qu'il avait compris que c'étaient ses paroles qui comblaient le vide autour de moi.
Ce sont ces phrases qui m'avaient poussée à remplir les cartons disposés sur mon lit de toutes mes affaires. Papa avait raison. Il fallait que je parte et que j'affronte mes démons. Cela faisait cinq ans, depuis que j'avais terminé le lycée, que j'évitais le plus possible de sortir de la maison. Les seules fois urgentes, comme celles chez le médecin, étaient des épreuves.
On dit que le temps guérit, mais le temps m'a affaiblie. C'était une idée reçue pour réconforter les gens. Parce que le temps n'apaise pas les brûlures, le temps ne lèche pas vos plaies. Le temps arrive encore moins à enlever de mon cou les mains de la folle chaque fois que je franchissais le seuil de la porte d'entrée de la maison. Le temps ne sert qu'à cacher vos souffrances chez votre inconscient, mais il suffit d'un geste, d'une parole, d'une respiration pour que ces souffrances ne ravivent vos brûlures. Le temps est un hypocrite.
Demain, j'allais entrer à l'université. J'allais déménager jusqu'en Utah rien que pour essayer de vivre ma vie, comme disait Papa. Je m'étais inscrite à une école d'arts, puisque c'était bien une des seules choses à laquelle j'accordais de l'intérêt. Je peignais depuis des années maintenant, c'était ma manière de me défouler, ma manière de m'exprimer, ma manière de me faire écouter.
Je rangeai ma gouache dans un des cartons marron, la boule au ventre. J'avais peur, c'est vrai. J'étais terrifiée à l'idée de sortir de ma zone de sécurité pour affronter le dehors. J'avais peur de la folle qui allait m'étrangler. J'avais peur de ce que les autres allaient penser d'une fille muette de cinq ans de plus qu'eux. J'avais peur et je me posais beaucoup trop de questions. Mais je ne pouvais pas rester à la maison. Je voulais vivre. Vivre, au moins pour Elias.
J'étais en train de mettre quelques fringues dans ma valise lorsque j'entendis des voix dans le couloir.
- Elle n'est pas prête Jeff. Le monde va la bouffer.
Je reconnus la voix de Maman.
- Elle va s'en sortir. Elle va aller mieux, elle va enfin vivre. Tu crois qu'elle vit depuis quinze ans ? Elle ne fait qu'exister, dit Papa.
Il savait exactement exprimer ce que je ne pouvais dire.
- Elle est malade. Il faut qu'elle reste à la maison. Elle n'est pas prête.
- Merde, Erika ! Qui a le plus peur entre elle et toi ?
Papa avait haussé le ton, et mon coeur se brisa en même temps que la voix de Maman alors qu'elle dévalait les escaliers. J'étais l'entière responsable de leur amour qui se défaisait. C'était à cause de moi. Raison de plus pour partir.
Mon comportement était contradictoire. Mes mains posaient mes habits dans ma valise de façon déterminée alors même que mon geste tremblait. Je devais être forte, au moins pour Elias, au moins pour Papa et Maman.
VOUS LISEZ
L'eau reste silencieuse
RomantizmEnfants, Elisabeth et Ashley se détestaient. Depuis le jour de son traumatisme et de la mort de son frère jumeau, Elisabeth, neuf ans, ne parle plus. Elle n'a plus rien à dire. Elle préfère se perdre dans le silence de l'eau qui était à la fois sa...