M. Blacknew

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Moi? Amenez-moi à votre fille...

Mais pourquoi? Ais-je fait quelque chose de mal?

Je cours me cacher derrière mon piano, tremblante.

J'ai peur... sous ma main, je sens le bois de mon piano adoré, mais celui-ci ne suffit pas à ramener la paix dans mon esprit.

Je tombe, le noir autour de moi me serre comme une prison, j'ai l'impression qu'une enclume s'est posée sur mes épaules frêles, m'enfonçant dans les ténèbres effrayantes d'une peur sans fin, d'un vide sans fond.

La pression se resserre contre moi, me fait suffoquer. Papa... s'il te plait...

Ne l'amène pas ici...

Pas ici... je ne veux pas qu'il me voit... qu'il m'entende... qu'il sache que j'existe...

Après tout, ne suis-je pas une petite sculpture de verre fragile et solitaire?

Une pauvre enfant aveugle sans avenir? Dont l'existence même est inutile? Un éclat de verre sous la peau? Un parasite?

NON! Ne pense pas tout ça! Je ne le suis pas!

J'ai toujours été seule... et je veux le rester... mon piano me suffit...

Méritais-je la vie?

NON! Efface tes démons!

Mon piano... aide-moi!

Les pas se rapprochent...

Je... ne... peux... pas...

Non... je ne peux pas rester indéfiniment dans ce trou sans âme... Je dois me réveiller... si je dors...

Le noir se resserre, prison de ténèbre.

Me relever... je dois me relever...

Difficilement, je remonte sur mes jambes, appuyée sur mon piano. Je titube jusqu'au tabouret, et m'assoie dessus.

Je... je... ne... pas... jouer... J-je ne peux pas jouer... Pas... encore... Attends encore un peu...

Je calme tant bien que mal ma respiration. Allez... courage...

Mon père et l'inconnu entrent dans la salle du piano, je les entends, j'entends leurs pas, leurs paroles, leurs respirations... mais je ne peux les voir...

-Ho! Mais voici votre charmante fille si je ne m'abuse! s'écrie l'inconnu, enthousiaste.

Je l'entends se rapprocher de moi.

-Bien le bonjour, gente demoiselle! Je me présente, je suis M. Blacknew! Ravi de faire votre connaissance!

Je ne réponds pas... je ne veux pas...

Devant mon manque de réaction, M. Blacknew murmure quelque chose à mon père. Malheureusement, je ne peux pas comprendre ce qu'il dit.

-Et bien, miss Walker, vous me semblez fort peu bavarde! Entrons donc directement dans le vif du sujet! Moi-même, ici présent, suis un envoyé du Roi de ce pays en personne!

Je hoche la tête doucement. Je sais déjà cela... je vous ai entendu... mais je ne dis rien. Je demeure parfaitement muette, aussi silencieuse que je suis aveugle.

- Voyez-vous, charmante miss Walker, certains nobles se plaisent à chanter vos louanges à la cour, si bien que le Roi en personne demande à vous rencontrer! continue t-il sans se soucier de moi.

Me... rencontrer? Depuis quand je mérite autant d'attention? Je ne suis qu'un être parmi tant d'autres...

-Le Roi veut vous entendre jouer!

Jouer? Du piano? Encore mieux...

-Mais je ne voudrais pas importuner le Roi, et je vais d'abord vous écouter, afin de savoir si vous êtes digne du Roi!

M'entendre... jouer? Maintenant? Mais je... je ne veux pas! Je ne veux pas jouer du piano parce que l'on m'y force! Je veux jouer parce que j'aime ça!

-Vu que vous semblez déjà être prête, commencez, je vous en prie.

A contrecœur, j'ouvre le piano et dépose mes doigts sur les touches, le plus doucement possible, afin que pas un son ne sorte de mon piano. Ce... M. Blacknew ne mérite pas que je joue pour lui...

Mais je... je DOIS le faire. Qui sait ce qui arrivera si je ne le fait pas?

Que dois-je faire? Obéir? Refuser? M'enfuir et me cacher? Non... je...

J'entends des pas se rapprocher de moi.

-Margot... fait-le... pour moi, d'accord? me murmure mon père.

Il a senti mon dégout. Mon refus.

Allez... juste un peu...

Je peux le faire...

Non... je DOIS le faire...

J'appuie doucement sur les touches, priant pour qu'une fausse note se produise, priant pour que M. Blacknew s'en aille déçu, priant pour que ne dois-je pas aller rencontrer le Roi...

Mais rien de tout cela.

Mon esprit appelle à l'aide,

Mais personne ne vint.


Aucune fausse note. Une improvisation parfaite.

Si les circonstances avaient étés autres, je m'en serais peut-être réjouie... mais pas cette fois.

Mon destin s'est sellé.

Piano StoryWhere stories live. Discover now