J'ai... besoin d'aide...

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S'il te plait... Maman... vient me jouer un morceau... tu joue si bien... Maman...

Je ne peux pas vivre sans toi...

...Maman...


Je tourne en rond, dans un silence de mort.

Le silence... est comme la solitude. Lourd. Pesant.

Le monde est à présent réduit à un néant vide et triste, dans lequel ressurgit parfois quelques souvenirs. Des souvenirs d'enfance, trop douloureux pour que je puisse les regarder en face.

Mes yeux se perdent dans un océan de noir, vite rejoints par mes oreilles qui ne supportent ce silence qui nous entoure, moi, les objets, mes pensées... le piano...

Le silence me plonge dans un état étrange...

C'est pour cela... que je te cherche. Mon piano, mon cher piano, toi qui m'est si précieux... je ne sais ce que je ferais sans toi.

Je me rappelle de tout, mon piano.

Je me rappelle de la première fois que j'ai délicatement posé mes doigts sur toi, le cœur serré par la peur de te briser. Tu avait l'air si fragile, à l'époque! Je ne voyais en toi qu'un objet un peu banal, qui semblait sur le point de céder à chaque instant. Les sons qui émanaient mystérieusement de toi et qui donnaient l'impression de sortir de nulle part m'ont longtemps fait croire que je ne pouvais pas m'appuyer sur toi.

Je me rappelle... que ma mère était avec moi. Ses mains sur les miennes me guidaient. Sans partitions, nous jouions ce qui nous passait dans la tête. Nous vivions le moment présent.

Puis après quelques heures de ce petit jeu, car c'est ce qu'il représentait pour nous, elle se plaçait à côté de moi et nous interprétions des quatre mains.

Certains domestiques venaient nous écouter.

Les voisins venaient parfois se plaindre que nous faisions trop de bruit.

Mais nous en avions rien à faire.

Nous étions heureuses. C'était tout ce qui comptait.

Maman... je me souviens de ton sourire, lorsque nous jouions ainsi.

Tu était heureuse. Je l'étais aussi.

Je me souviens de Papa, qui nous écoutait en silence, dans un coin de la salle. J'étais tellement concentrée pour ne faire aucune fausse note que j'en oubliait sa présence.

Je me souviens de cette étrange impression, quand je sentais le piano vibrer sous nos mains, que mon esprit quittait mon corps et allait rejoindre celui du piano. Nous vibrions ensembles. Comme deux amis inséparables.

Parfois je jouait seule, mais je n'aimais pas trop ça. Je préférais jouer avec toi, Maman.

Mais...

...Mais tu n'est... plus là.

Nous ne pouvons plus... rire ensembles.

Nous ne pouvons plus... jouer ensembles.

Tu me manques... tellement...


Mon piano est devenu mon seul ami. Il guide chacun de mes pas.

J'ignore ce que je ferais... sans lui.


Lentement, je me relève.

Je ne peux pas jouer maintenant. J'en ai l'interdiction formelle de M. Blacknew.

J'en souffre, mais c'est ainsi. Je ne suis qu'une jeune fille parmi tant d'autres, qui se fond dans la masse informe qu'est le monde.

Une jeune fille aveugle. Fragile. Sans avenir.

Une jeune fille forcée par d'autres à jouer devant des nobles. A jouer devant le roi.

J'ai... si peur...

J'ai... besoin d'aide...

S'il vous plait... n'importe qui...


-Veuillez me suivre, Miss Walker!, me dit M. Blacknew de l'autre bout de la salle. La voiture pour Versailles est prête, nous sommes sur le départ!

A contrecœur, je me m'avance, abandonnant mon cher piano sur lequel je n'aurais pas pu poser les doigts avant de partir.

Je sors doucement de la salle, derrière M. Blacknew qui continue de parler sans que je ne l'écoute.

Alors ça y est?

On va partir?

Adieu, mon cher piano.

J'espère vite te revoir.

Piano StoryWhere stories live. Discover now