Il était une fois...

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 Lorsque le Roi et la Reine se sont unis, ils ne désiraient qu'une seule chose : un fils. Le sable du temps une fois écoulé, il devait y avoir un nouvel élu. Un héritier sur le trône. Oui, avoir un fils devenait capital. Il s'agissait là de leur vœu le plus cher. Malheureusement, leur premier enfant fut une fille. Une ravissante jeune fille aux boucles brunes et aux beaux yeux d'or.

 Dès sa naissance, la beauté de la fillette époustoufla la cour jusqu'aux contrées voisines. Elle fut dès lors promise à l'héritier d'un riche seigneur voisin.

 Quand on est assis sur un trône, il faut des alliés. Beaucoup d'alliés. Mais il fallait aussi un fils. La Reine tomba une nouvelle fois enceinte, et une fois encore la féminité régna au château. Les dieux leur firent don de deux bébés. Des ravissantes jumelles, à leur plus grand regret. Au château, la nouvelle traversait les murs : le Roi n'aurait jamais de fils. Aucun héritier. La Reine ne pourrait jamais enfanter un garçon.

 Cependant, il y avait à l'extérieur des murs une rumeur qui se répandait ; on citait les bienfaits d'une sorcière. On lui attribuait des pouvoirs de guérisseuse. Il paraît que lorsqu'elle répandait sa bénédiction : les animaux donnaient naissance sans douleur, les fleurs s'épanouissaient sous ses pas, et les ailes des moineaux reprenaient vigueur par ses mains. En bref, elle était capable d'une multitude de choses... Alors, elle fut convoquée à la cour sur ordre de la Reine. Elle voulait un garçon. La Sorcière lui en donnerait un.

 Neuf mois plus tard, la Reine eut le bonheur de s'arrondir. Elle donna naissance à un beau petit Prince. Tout le château fut en émoi, et la Sorcière fut grassement récompensée. Un banquet fut servi sans délais pour fêter l'occasion, afin de célébrer la naissance du petit brun aux yeux d'or. Tous les seigneurs, tous les paysans, tous les commerçants, tous les pêcheurs et même les infortunés, apportèrent leurs vœux au Roi. La famille royale était comblée. Il y avait un fils. Il y avait un héritier.

 Malheureusement, le nouveau-né succomba à la maladie. L'hiver fut rude, cette année-là... Le couple royal fut pris de chagrin. Le château entier pleura la mort de ce petit être. Le royaume entier fut en deuil. Il n'y avait plus de fils. Il n'y avait plus d'héritier. La Reine pris peur, ensuite. Et si le Roi se lassait d'elle ? Et si le Roi faisait enfanter les courtisanes dans l'espoir d'avoir un fils ? S'il se trouvait une nouvelle Reine, pour lui avoir donné un fils ? Les dieux n'entendaient pas ses prières. Voilà qu'on la disait désormais infertile. Prise de folie, broyée par le chagrin, étouffée par la colère ; la Reine porta ses accusations sur la Sorcière. C'était elle qui lui avait donné un mâle. C'était donc elle qui l'avait maudite. Sa sorcellerie avait brisé les espoirs de la famille royale. Sa sorcellerie avait défié le royaume. Sa sorcellerie avait tué son fils. Elle fut alors convoquée à la cour pour subir son jugement.

 Mais la pauvre femme suppliait son Roi. A genoux face à la Reine, elle implorait les dieux. Sa magie, disait-elle, n'avait fait qu'offrir un cadeau des plus précieux à son royaume. Sa magie, disait-elle, n'avait fait que servir son royaume. Sa magie, disait-elle, avait fait enfanter la reine d'un héritier. Mais sa magie, disait-elle, n'avait pas pu prévoir qu'il serait emporté au-delà des cieux. Sa magie, disait-elle, ne pouvait prémunir l'enfant. Malheureusement, la Reine ne voulut rien entendre. Epargner la Sorcière, c'était lui donner raison. Epargner la Sorcière, c'était prouver au Roi son incapacité de lui donner un fils. Alors, la Sorcière fut condamnée au bûcher.

 Cependant...

 Les choses auraient été bien plus agréables à vivre si tout se finissait ainsi. Pensez-vous que la Sorcière se fût laissé tuer sans un dernier mot ? Hautement, hurlant à pleins poumons alors que le brasier incandescent dévorait sa chair, la famille royale fut maudite. La Reine fut maudite.

« Un fils, voulez-vous ? Je vous en donnerai un. Je vous en donnerai deux... trois... ! Des dizaines ! Payez-le prix de votre cruauté ! Quand ils découvriront pour la première fois la lumière du jour, ils déchireront vos entrailles ! Ils arracheront votre vagin ! Enfants, ils seront craints des domestiques, abandonnés par les serviteurs, bannis des yeux de vos courtisans, ignorés des arrangements auprès des autres seigneurs ! Tels des démons, ils ne craindront ni les intempéries, ni les maladies, ni les feux, ni les lames ! Plus grands, beaucoup trop nombreux, n'ayant rien à se départager ; ils se feront la guerre ! Vous ne pourrez intervenir, vieille et dépourvue de forces, ces forces qu'ils vous auront ôtées ! Vous vouliez un héritier ? Voilà le prix à payer ! »

 Et ce fut ainsi.

 Neuf mois plus tard, naquirent trois mâles des entrailles de leur mère. Tous trois furent vivants. Tous trois si beaux. Tous trois si vaillants. Des cheveux noirs aux yeux d'or... Le visage de leur père. Du Roi. Trois petits prétendants au trône. Trois fils.

 Les mois passaient, et malgré le froid de l'hiver, ils grandissaient, le cœur chaud et battant, faisant résonner les peaux de leurs tambours royaux au sein de la cour entière. Mais les chuchotements ne cessaient. Si jadis on se moquait de la Reine... Désormais on craignait la malédiction. Ne la disait-on pas infertile ? La Reine était maudite ! Mais le Roi ne voulut rien savoir, rien entendre : au diable la sorcellerie ! Tout ceci n'était qu'artifice. Il avait des fils. Bien portants, forts, qui grandissaient et deviendraient des hommes valeureux. La famille était comblée. Et la Reine fut heureuse.

 Deux années suivirent, et la Reine donna naissance à un quatrième fils.

 Deux autres encore.

 Puis un septième...

 A n'en plus finir : Des fils, des fils et encore des fils... !

 A petit feu, ils détruisirent le corps de leur mère, épuisée de donner naissance, quand bien même son mari n'eut semé la graine. La famille royale fut crainte du peuple et des autres seigneurs, non point par leur force et leur richesse, mais par la malédiction. Les fils du démon... ! Ils ne craignaient ni les lames, ni le feu, ni la maladie. La terrible prophétie allait-elle s'accomplir ? Très vite, la cour fut déserte, les jardins devenus indomptables. Le pays tombait dans la pauvreté et la débauche, les petits seigneurs faisaient leur propre compte. Les conseillers, l'argentier, les commerçants, les messagers, les chevaliers, les domestiques ; tous. Ils étaient tous partis. Le château était simplement rempli d'hommes et de jeunes hommes presque identiques traits pour traits. Des fils beaucoup trop nombreux. Et le Roi, vieux, si vieux qu'il paraissait une sculpture d'ossements sur le trône, n'avait la force de gouverner.

 La famille royale était maudite.

Un conte interdit aux enfantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant