Oh ... Que m'est-il arrivé ? Mon corps est si engourdi et ma gorge si sèche ... Pourquoi fait-il aussi sombre ? Les bonnes auraient déjà dû ouvrir les rideaux. Quelle heure est-il ? Ai-je fait un mauvais rêve ? Il me semble que oui ... Je ne suis plus une enfant, pourtant je meurs d'envie d'aller me réfugier dans le lit de mon père et dans ses grands bras protecteurs, comme les soirs d'orage.
Un soupir file entre mes lèvres. Je lève un bras pour passer une main sur mon visage endormi, mais sursaute violemment avant d'avoir achevé mon geste. D'un bond, je me retrouve assise, mes doigts pressés contre ma poitrine agitée. Sur ma peau, quelque chose m'a piqué, quelque chose qui n'a rien à faire dans mes appartements !
Je suis couchée sur un étrange agrément de poils, de vieilles couvertures et de ... paille ! Un cri de stupeur meurt au fond de ma gorge alors que tout me revient à l'esprit. Ô malheur, tout ceci n'avait rien d'un cauchemar. Tout est véridique, le jardinier égorgé, cet affreux bandit, sa fuite dans la forêt !
Et au sujet du gredin ... Mes yeux paniqués parcourent la grotte vide. Où diable m'a-t-il emmenée ? Dans une antre d'ours, le rustre !
Seul un petit amoncellement de pierres et de bois calciné fumant attire mon attention. Le feu est mort, ce qui signifie qu'il est parti assez loin pour ne plus s'en occuper. Dieu ! Voici ma chance !
Rejetant les couvertures, je me débats avec ma robe pour me remettre sur pieds. Je m'élance vers la cascade, mais me sens soudainement happée dans l'ombre. Un cri m'échappe sous la surprise.
— Vous allez quelque part ?
Sa voix, grave et rauque, résonne dans la caverne. C'est avec horreur que je découvre que mon ravisseur ne s'est pas montré assez imprudent pour s'éloigner. Appuyé dans un creux dans l'obscurité, je ne l'avais pas remarqué ; Comment aurais-je pu, puisque tout en lui appelle aux ténèbres ?
Ses vêtements sont aussi noirs que fripés. Malgré les mèches noires qui retombent sur sonfront et la barbe de plusieurs jours qui lui dévore les joues, je devine levisage d'un homme à peine plus vieux que moi. Ses yeux, eux, ont beau revêtir une teinte plus clairs, ils s'avèrent bien trop durs et bien trop froids pour apporter une once de lumière à son apparence.
Sa poigne me fait mal. D'un simple mouvement, il me repousse vers le fond de la grotte. Je titube, mais ne le quitte pas des yeux. Tous mes sens entrent en alerte. Il se détache du mur et s'approche d'un pas lent. Je surprends un geste vers sa ceinture, dans laquelle il glisse un couteau bien trop grand et aiguisé à mon goût. Sûrement l'arme qui a servi à égorger le jardinier ...
Mes pas s'accordent aux siens. Je recule à mesure qu'il avance.
— Qu'allez-vous faire de moi ? je demande d'une voix tremblante.
Mon talon cogne contre le lit de fortune. Une panique sourde commence à gronder dans mon ventre. Bientôt, le fond de la grotte me bloque toute retraite. Ce chien m'a acculé comme un animal. Il s'arrête devant moi. Trop près, bien trop près.
— Ne me touchez pas ! je m'exclame, les sanglots secouant déjà mon cœur terrifié. Ne me touchez pas ou je vous crève les yeux, scélérat !
J'ai beau ne pas avoir souvent quitté la protection du château, je ne suis pas idiote pour autant. Je sais ce qu'un homme peut faire endurer à une femme s'il le veut. S'il la veut.
Incapable de soutenir son regard plus longtemps, je baisse la tête. Sa main entre alors dans mon champ de vision pour s'emparer de mon bras. Je crois défaillir de nouveau et me raidis plus encore en sentant ses doigts se refermer sur ma peau.
— Essayez donc.
Si je m'imagine attraper la dague à sa hanche et la lui planter dans les côtes, mon instinct de survie ne me juge pas assez habile pour ça. A la place, je me jette sur lui, toutes griffes sorties. Je tente comme je le peux de l'atteindre au visage et lacère tout ce que je rencontre.
Hélas, il ne fallait pas s'attendre à un combat équilibré ... Avec violence, il me plaque contre la paroi, m'écrasant presque sous son poids. Un gémissement douloureux filtre à travers mes dents serrées. Jamais on ne m'a traité de la sorte, jamais je n'ai eu aussi mal ! Serais-je seulement capable d'affronter la suite de ce cauchemar ?
— Je vous déconseille d'essayer de rentrer chez vous par vos propres moyens, gronde-t-il à mon oreille. Nous sommes à des lieues du château de Brivour et vous ne tiendrez pas deux jours seule dans cette forêt. Soit vous vous perdrez et mourrez de faim, soit vous serez tuée par les loups.
La pression sur mes bras s'évapore. Je me risque à ouvrir les yeux et relever la tête. Un poids s'enlève de ma poitrine lorsque je constate qu'il me tourne le dos et s'éloigne.
— Me perdre dans la forêt me semble être un sort plus enviable comparé à celui que vous me réservez à coup sûr, je crache avec ardeur. Dites adieu à une mort rapide, vous serez sans aucun doute démembré à vif sur la place du village pour avoir osé vous en prendre à moi !
— Croyez-vous m'impressionner ? Soupire-t-il, balayant mes propos de la main sans même se retourner. Je sais déjà tout ça. Mais pour l'heure, on ne peut rien contre moi.
— Oh, vraiment ? Et qu'est-ce qui vous fait vous sentir si intouchable ?
L'homme se retourne alors pour m'adresser un sourire sardonique, auquel je réponds par un regard empli de haine.
— Je ne détiens pas n'importe quelle captive.
— Ah ! je m'écris avec sarcasme, avançant d'un pas pour mieux l'écraser de ma victoire. Et la moindre atteinte que vous oserez me faire fera baisser le prix de l'otage que je suis ! J'ai beaucoup de valeur, pas vrai ? Alors vous feriez mieux de bien me traiter. Si vous me malmenez, me déshonorez ou m'affamez, je serai perdue pour perdue, et on n'hésitera pas à vous traquer de plus belle pour venger ce que vous m'aurez fait. Vous êtes un idiot, votre situation ne pourrait être pire.
Je croise les bras et lève le menton d'un air satisfait. L'autre cligne des yeux, plus las qu'autre chose. Est-il trop stupide pour ne pas comprendre ce que je viens de dire ? Peut-être qu'au-delà de deux phrases alignées, ce pauvre bougre ne parvient plus à suivre une conversation.
— Lorsqu'on se lancera à ma poursuite, Eléane de Brivour, ce ne sera pas pour quelques marques sur votre visage. Réfléchissez-y, puisque vous semblez forte dans ce domaine. C'est votre mort, que l'on vengera. Rien de moins.
— Quel genre d'homme êtes-vous pour lever la main sur une jeune femme de bonne famille ? je demande difficilement. Regardez-moi plus attentivement et vous finirez peut-être par comprendre la valeur que peut avoir mon visage.
Un semblant de rictus étire sa bouche. Le voyou revient sur ses pas et me rejoint. D'une délicatesse insoupçonnée, il glisse sa paume au creux de ma nuque et laisse ses doigts rugueux caresser ma joue. Mon sang se glace d'effroi.
— Je n'ai pas encore de raison de lever la main sur vous, ma douce, murmure-t-il. Tenez-vous tranquille et vous n'aurez rien à craindre de moi. Par ailleurs, en ce qui concerne le genre d'homme que je suis ... eh bien, imaginez le plus ignoble qui soit.
Son sourire s'élargit. Dégoûtée, je cherche à me dégager.
— Ne faites rien que je ne puisse tolérer et vous n'en aurez pas.
— Nous sommes donc d'accord, marmonne-t-il en s'éloignant.
— Où allez-vous ?
— Me laver. Restez ici. A moins, bien sûr, que vous ne souhaitiez me tenir compagnie.
Je grimace pour toute réponse, écœurée rien qu'à l'idée de l'imaginer nu et crasseux comme il est. Je fais volte-face et retourne dans le nid de fourrures. Dans mon dos s'élève un rire goguenard qui, plus qu'autre chose, me fait trembler de rage et de désespoir.
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Feu et Glace
Historical FictionLorsque la fille tant chérie du Duc du Brivour se voit brutalement arrachée au confort et à la sécurité des remparts du château, elle ne pense pas en ressortir vivante. Désormais captive entre les mains d'un brigand aussi froid que la Mort, Eléane v...