Chapitre 7 ~ Éléane

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Lentement, j'enfonce ma main à plat dans la robe dense et obscure du cheval. Un frisson secoue sa peau épaisse. Je lève les yeux vers sa tête duveteuse, mais elle retourne arracher paisiblement les quelques brins d'herbe qui parsèment le sol. L'énorme masse de muscles se détend sous la pulpe de mes doigts et accueille avec plaisir les caresses que je lui abandonne.

— Il est très beau, dis-je avec sincérité. Comment s'appelle-t-il ?

— Helios.

Le voyou apparaît à mes côtés, comme s'il n'avait jamais cessé de suivre le moindre de mes pas hors de sa caverne primitive. Sa large paume vient asséner deux claques affectueuses sur l'épaule de l'animal.

Helios aurait pu ressembler aux chevaux des écuries du château si les crins de sa crinière n'avaient pas été emmêlés et les poils de sa robe mouchetés de boue séchée. Il n'a pas l'allure des bêtes que les bouseux utilisent pour travailler la terre.

J'ignore où un individu comme Erow a bien pu se procurer un tel animal mais une chose est sûre ; il lui porte assez d'attachement pour ne pas le traiter comme un simple moyen de locomotion.

— C'est un joli nom.

Des mains viennent enserrer ma taille et me hissent sans effort sur la selle. Je vois le monde de beaucoup plus haut soudain. Bien vite mes cuisses trouvent leurs marques contre le flanc du cheval.

Je montais fréquemment lorsque j'étais enfant. Malheureusement, avec le temps, mes activités équestres ont été remplacées par des occupations plus dignes d'une dame. Il m'a fallu apprendre l'histoire de notre contrée et la géographie de notre monde. Je sais également tenir une conversation simple dans plusieurs langues. La plupart du temps, je passe les heures en m'attelant à la couture ou à la lecture. Surtout à la lecture.

La bibliothèque du château est remplie essentiellement pour moi. Ce sont ses livres aux pages brunies, qui sentent le vieux papier et la poussière, qui m'ont appris tout ce que je sais. Si du haut de mes dix-sept ans je ne suis toujours pas mariée, ni engrossée par un époux ivrogne et simplet, je ne le dois qu'à moi-même et à ma capacité à manipuler mon père.

Erow monte en selle à son tour. Son torse épouse mon dos et mes épaules. D'une main il rassemble les rênes devant moi. Je comprends que, quelle que soit la tentative de fuite que je pourrais laisser transparaître, il ne me laissera pas l'occasion de lui filer entre les doigts.

— Où allons-nous ? je demande mine de rien.

— Choisissez la direction qui vous plaira. Tant qu'à vous emmener promener, autant vous laisser décider quel chemin prendre.

Je fais la moue. Visiblement il n'a pas l'intention de me donner la moindre information sur ce qui se trouve aux alentours. Pas si idiot que je l'aurais souhaité, l'homme sauvage.

Je tends le bras droit devant moi puisque de toute manière l'endroit vers lequel nous allons, quel qu'il soit, ne m'aidera pas à localiser ma demeure. Le brigand ne trouve rien à redire sur mon choix parfaitement irréfléchi et se redresse sur la selle. Ses phalanges robustes se resserrent sur la bride et ses talons pressent les côtes du cheval.

Helios obéit. Ses pas créent un agréable balancier. Rien que pour sentir sa chaleur et la force de son corps, j'étreins un peu plus mes jambes autour de ses flancs et me penche en avant pour glisser ma paume contre l'encolure soyeuse.

C'est agréable de quitter l'ambiance humide de la caverne pour l'univers doux et verdoyant du dehors. Les pins sont gigantesques et espacés. Ici, il n'y a aucun buisson épineux ni mauvaises herbes envahissantes. Les jeunes plantes, privées de lumière par les arbres immenses, meurent dans l'ombre sans même avoir eu le temps de bourgeonner. L'endroit a quelque chose de mystique.

— Pensez-vous que ces bois soient habités par des elfes ? je murmure, par peur d'être entendue par d'autres oreilles que celle de mon compagnon de fortune.

Mes yeux fouillent les alentours tandis qu'un rire rauque s'élève dans mon dos. Je me retiens de le frapper pour le faire taire. On ne plaisante pas avec ces choses-là ! Ce que j'ai entendu sur les elfes ferait naître une boule dans l'estomac de n'importe qui.

— Les elfes n'existent pas en dehors des contes pour enfants.

L'amusement que je perçois dans sa voix m'agace.

— Ne parlez pas si fort ! On raconte qu'ils ne tolèrent pas qu'on leur manque de respect !

— Ces histoires ne sont que des inventions de bonnes femmes, pour éviter que leurs marmots aillent se perdre en forêt. C'est soigner la curiosité par la peur.

— Il existe tellement de légendes à leur sujet ... Tout ne peut pas avoir été inventé ! je réplique d'un ton exagérément bas comparé à celui d'Erow. J'ai entendu dire qu'ils n'acceptent pas d'intrusion sur leurs terres, car ils nous estiment trop peu dignes d'un tel privilège ...

— Allez-vous m'expliquer que nous risquons de nous faire attaquer ? Qu'ils vont utiliser nos tripes alors que nous respirons encore pour préparer une mixture du diable ? Allons bon, je suis étonné qu'une femme aussi cultivée que vous prête attention à ces fables ! Mais rassurez-vous, ma douce ... Je côtoie ces arbres depuis assez longtemps pour vous assurer qu'ils n'abritent rien d'autre que des écureuils.

Je claque ma langue contre mon palais, irritée d'être si peu prise au sérieux.

— Mes connaissances, je les ai récoltées dans les livres, tout comme la plupart de ces « fables » comme vous dites. Et cessez de m'appeler « ma douce », je ne suis vôtre en rien !

La prise du voyou change sur les rênes. Le cheval relève la tête dans un mouvement brusque. Surprise, je suis repoussée en arrière, ongles enfoncés dans la crinière drue. Le visage de mon ravisseur glisse dans mes cheveux. Bientôt ses lèvres sèches viennent frôler mon oreille :

— Peut-être, mais rien ne me prouve que vous n'êtes pas douce ...

Mon cœur rate un battement. Je sens mes joues me picoter et sais aussitôt que mon visage s'est empourpré. Je me raidis plus encore, paupières abaissées sur des visions charnelles et écœurantes. Un frisson m'ébranle.

De toute évidence satisfait, le gredin reprend sa place et siffle deux notes aiguës. Elles prennent un sens pour notre monture, qui s'ébroue avant de reprendre son avancée. Fâchée et humiliée par mon peu de répartie, je préfère garder le silence pour le reste du voyage.

Feu et GlaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant