Mes pas suivent d'eux-mêmes l'invisible chemin tracé sur le tapis de feuilles. Mes yeux se perdent dans le sillage d'Eléane, observant ostensiblement la danse de ses mouvements oisifs. Je me plais sans en éprouver la moindre gêne à savourer la courbe de ses hanches que sa robe paysanne ne dissimule nullement. L'ombre d'un sourire en coin ne quitte pas mes lèvres.
La duchesse, de son côté, s'applique à ignorer l'attention que je lui porte. Elle s'est pour le moins rapidement accommodée à cette vie de débauche qui, selon elle, caractérise bien plus le petit peuple que la haute noblesse. Je n'ai pas eu cœur à briser ses illusions ; il y a au contraire bien fort à parier que le sang bleu s'adonne sans restriction aux plaisirs de la chair à l'abri des regards. Bons nombres de domestiques peuvent en témoigner après le renvoi abrupt de leur maître devant l'arrondi illégitime de leur ventre impur et parjure.
Loin de ces idées mais pourtant bien consciente de ma présence, Eléane chemine à travers les arbres d'un pas léger. De temps à autre, elle se penche pour récupérer un morceau de bois sec qu'elle ajoute à ceux que j'ai déjà entre les bras. Son propre fardeau est pour le coup moins encombrant que le mien. Calé au creux de son coude, Eléane porte un bouquet de fleurs des champs. Elle parachève le visage de son œuvre avec quelques fougères sauvages, cueillies ci et là.
- Comment as-tu dit qu'elle se nomme, celle-ci ?
La demoiselle se tourne vers moi pour me montrer l'effusion de couleurs qu'elle tient contre son sein. Au milieu des douces teintes rosées des cardamines et du bleu clair des myosotis, elle me désigne une plante aux courbes surprenantes. Ses fleurs d'un mauve saisissant se dessinent en de délicats pétales qui n'ont, pour ainsi, rien à envier à leurs voisines.
- Un orchis, ma douce. Il n'apparaît d'ordinaire qu'en été et est généralement compliqué à débusquer.
La floraison de cette herbe violacée aura ravi les mirettes d'Eléane autant qu'elle m'aura surpris par sa précocité. La plante est rare, donc précieuse, et aurait presque créé un grotesque décalage avec le reste de la flore bien plus banale de la clairière. Mes lèvres s'ourlent dans un sourire plus doux alors que je remonte mon attention jusqu'au visage de la demoiselle. L'image de l'orchis me fait penser à elle ; délicieusement unique, potentiellement venimeuse, et perdue au milieu d'un monde bien trop fade pour sa beauté.
Eléane semble se rendre compte de ma manœuvre à peine voilée pour lui dérober un baiser. Elle resserre jalousement le bouquet contre son cœur et m'échappe d'un pas, non sans agrémenter sa fuite d'un regard malicieux.
- L'orchis a-t-il une utilité particulière ?
- J'ignore quelles sont ses vertus, je réponds de bonne grâce, bien trop encombré par le fagot de bois pour la suivre dans un jeu que je sais néanmoins gagné d'avance.
- M'as-tu vraiment laissée cueillir une fleur qui pourrait s'apparenter à du poison ?
- Eh bien, le poison est plus vraisemblablement une affaire de femme. A toi de me le dire.
Eléane me lorgne du coin de l'œil.
- Et à toi de t'en méfier. L'orchis pourrait alors m'aider à te causer du tort.
Je souris franchement, insensible à la menace. Elle renchérit.
- J'ai entendu dire que certaines épices rendent les hommes impuissants. Peut-être que celle-ci en serait capable !
Cette fois je m'esclaffe, oscillant entre amusement et effarement. La duchesse me lance son regard de biche, satisfaite de ma réaction ; et pourtant ... elle serait la première à pleurer l'idée de mon impuissance masculine.
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Feu et Glace
Ficción históricaLorsque la fille tant chérie du Duc du Brivour se voit brutalement arrachée au confort et à la sécurité des remparts du château, elle ne pense pas en ressortir vivante. Désormais captive entre les mains d'un brigand aussi froid que la Mort, Eléane v...