Chapitre 20 ~ Erow

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L'astre céleste est encore bas lorsque je retrouve les abords de la rivière. La forêt a quelque chose de particulier au petit matin. L'aube la revêt d'une atmosphère intemporelle. Ses rayons d'ambre se déversent d'une furtivité espiègle entre les branchages. La faune qui peuple ces arbres s'éveille à peine. La fraicheur de l'humidité champêtre m'enveloppe et m'apaise comme une brève promesse d'accalmie.

L'éclat du soleil m'éblouit un instant lorsque mes bottes quittent l'humus tendre de la forêt pour fouler les rebords dégagés du cours d'eau. Je rehausse la prise de mes bras sur le bois mort que je transporte. Mes yeux coulent de l'autre côté de la rivière. Les troncs sont aussi muets que ceux que je viens de quitter. J'en déduis qu'Ivor, qui est également parti ramasser de quoi alimenter le feu, n'est pas encore revenu.

Mes lèvres cèdent finalement ; un soupir silencieux s'évade de mon buste. J'inspire longuement dans l'espoir de chasser cet harassement constant qui pèse dans mes entrailles. L'air brut, gorgé du parfum des sous-bois, me charge d'une énergie nouvelle mais ne suffit pas à vaincre le poison funeste de cette vie gravé dans ma chair.

Un hurlement strident éclate soudain. Mon corps entier se crispe, alors que l'organe qui pulse sous ma poitrine suffoque le temps d'un douloureux battement. La forêt s'est figée. Le calme serein s'est brisé. Même les rayons du soleil semblent saisis d'une allure plus morbide.

Ce cri vient de la caverne.

C'est Eléane.

Le fagot de bois roule par terre dans un fracas qui ne perce même pas le bourdonnement fou de mes oreilles. Je n'ai toujours pas repris mon souffle. Mes jambes ont déjà traversé la berge.

Je surgis à l'intérieur de la grotte. Une terreur sans nom enserre mon ventre. S'il lui est arrivé quelque chose ...

La noirceur qui règne dans la cavité m'aveugle. Quelque chose heurte mon torse. Mes mains se referment instantanément sur les épaules de la duchesse. Un ricanement s'élève derrière elle. Les boucles d'Eléane cachent une partie de son visage pétrifié. D'une main blanche et tremblante elle couvre sa joue que je devine meurtrie.

On l'a frappée pour la faire taire.

L'aura hostile de Galaad hérisse alors mon attention. Je relâche ma captive.

- Que se passe-t-il ?

La question grondante fuse à l'attention de Galaad, mais aussi de Brom qui m'apparaît en retrait. Son regard d'acier est plus tranchant que d'ordinaire. Le meneur des gredins, lui, se présente le visage rougi par de longues striures désordonnées. Ses joues ont été griffées. La teneur du complot qui s'est déroulé ici quelques instants plus tôt commence à s'esquisser dans mon esprit. Déjà une fureur sourde s'élève en silence sous mes flancs. Les doigts frêles d'Eléane effleurent ma chemise avec crainte.

- Erow, je ... je n'ai rien fais ... C'est ... Il ... Je n'ai fait que me défendre ... ! Il a voulu ...

La voix cassante et imposante de Galaad vient trancher les mots apeurés de la demoiselle.

- J'ai d'mandé à ta putain si elle était d'accord pour nous montrer ses mamelles princières, à nous aussi.

Son aveu me fait l'effet d'une gifle. Les mots empruntés n'ont pas été choisis au hasard. Le doute pernicieux s'immisce en moi, et avec lui, une trop longue hésitation. Eléane glapit sur le côté, mais je n'ai d'yeux que pour l'homme balafré.

- Il m'a trainée hors de la couche pour ... pour ... ! Je me suis débattue, et je me suis mise à crier. Alors il m'a frappée !

Je ne me remémore pas avoir rompu la distance qui me sépare de Galaad. Mes poings se referment autour du col de son vêtement. Mon regard de glace se plante dans ses yeux de rat. Le rictus mauvais qui déforme sa bouche s'atténue sous la surprise de mon geste.

Feu et GlaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant