Chapitre 37 ~ Erow

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Musique : https://www.youtube.com/watch?v=lb7vrDnx-0I


Ces dernières années m'auront appris une chose. J'ai été créé pour haïr. Je suis né pour ça, je respire pour ça. Il n'y a pas d'autre explication plus sensée que celle-ci. Et ce château n'est autre que ma malédiction. A chaque fois que j'y ai mis les pieds, j'y ai perdu une partie de moi.

Assis au fond de ma geôle, les yeux rivés sur ce malheureux bout de papier entre mes mains, je n'ai jamais été aussi éveillé depuis le début de ma détention. Je n'ai pas pu relire les mots qu'il contient, mais ils sont de toute manière marqués au fer rouge dans ma mémoire.

J'entends de la musique au loin. Les festivités s'accompagnent de rires et d'odeurs de cochons grillés qui s'infiltrent jusqu'ici.

Le mariage a bien eu lieu. Elle n'a pas menti.

Mais ce n'est pas la cérémonie qui alimente la rage qui brûle dans mes tripes. C'est cette sensation abominable d'avoir été berné. Elle s'est jouée de moi. La petite garce.

Bien des souvenirs auront trouvé un sens ces dernières heures, alors que j'ai ressassé chacun de ces moments où elle a œuvré de ses subtiles manipulations pour obtenir de moi ce qu'elle voulait. Ses pleurs lorsqu'elle dépassait les limites de ma patience, ses caprices pour me faire tourner en bourrique, ses questions incessantes, sa candeur feinte et ses tentatives d'évasion avortées. Que se serait-il passé si la Duchesse était parvenue à me filer entre les doigts sans rencontrer ce loup dans la forêt ? Sans tomber sur ces villageois ivres et prêts à lui arracher sa vertu ? Elle ne serait pas revenue de son plein gré pour tomber dans mes bras.

Comment ai-je pu penser qu'il en serait autrement à présent que je me trouve à la merci de son père ?

Eléane l'a écrit de sa propre main. Même lorsqu'elle s'est donnée à moi, même cet amour fragile que je pensais réel, tout cela ne se résume qu'à du vent. Une ruse finement menée. La demoiselle peut bien se targuer d'ingénuité, elle n'est en réalité qu'une vile manipulatrice.

Du bruit se fait entendre au bout de ce fameux couloir qui mène au dehors. Je me lève sans un mot. La nuit est trop avancée pour qu'il ne s'agisse pas de mon petit rendez-vous arrangé. Les gardes du Duc sont certainement assez ivres pour que le plan d'évasion puisse se dérouler sans attirer leur attention.

Quatre hommes se présentent à ma porte. Ils sont nerveux. Ils jouent gros, mais probablement que la bourse promise en retour en vaut la peine. Les deux premiers déverrouillent la grille et s'engouffrent à l'intérieur de la cellule. On me jette un tas de vêtements.

- Change-toi, ordonne l'un d'eux.

J'obéis sans faire d'histoire.

La Duchesse m'a fait une offre que je ne peux refuser. Si devoir la vie à cette femme me révulse, la perspective de rouler son chien de paternel est bien trop tentante.

J'enfile les nouvelles bottes et l'habit de soldat qu'on m'a donné sans décrocher un mot. La lettre finit glissée sous ma ceinture. Je compte bien la garder précieusement. Non pas en mémoire du bon vieux temps, mais pour me souvenir de ne plus jamais me détourner de mon chemin.

- Suis-nous et ne tente rien d'idiot, compris ? dit le soldat avant d'adresser un signe de tête à ses comparses restés en retrait.

Ces derniers s'infiltrent dans la geôle. Je découvre alors le fardeau qu'ils tirent derrière eux ; un pauvre gaillard couvert d'ecchymoses et de sang séché. Il ne tient plus debout, au point que ses deux tortionnaires sont contraints de le trainer par les bras. Ses vêtements sont sales et son visage est si tuméfié qu'on ne pourrait le reconnaître.

Un râle ignoble meurt entre ses lèvres boursouflées. Je devine sans mal ce que ces hommes lui ont fait ; Ils l'ont tabassé pour le rendre méconnaissable et ont fini par lui trancher la langue pour l'empêcher de parler. Ainsi ce malheureux pourra prendre ma place sans avertir quiconque du subterfuge.

Voilà donc le raisonnement sans faille d'Eléane de Brivour. La cruauté de la Duchesse n'est plus à démontrer. J'aurais pu l'admirer dans toutes ses nuances.

Je me détourne de l'homme qui mourra à ma place, m'interdisant d'éprouver la moindre pitié. Les quatre gardes m'encadrent alors que nous sortons d'ici. Mon attention part déjà en direction de la sortie, droit devant, tandis que l'un d'eux referme la grille.

La liberté est là, non loin. A portée de main.

Je tente de refreiner l'empressement grandissant qui prend naissance dans ma poitrine. L'idée même de quitter ces murs et retrouver un air non vicié par l'humidité des cachots me donne envie de bondir en avant. Mais un seul faux pas de ma part suffirait à faire réagir les hommes qui m'accompagnent. Ils préféreraient me planter une dague dans le flanc plutôt que de risquer de se faire prendre, je n'ai aucun doute là-dessus.

Mes pas s'arrêtent lorsqu'enfin nous débouchons des entrailles des oubliettes. Je lève les yeux vers le ciel nappé d'une nuit étoilée. Je pensais ne plus jamais revoir ce spectacle. Il m'a terriblement manqué.

- Hâte-toi, on n'a pas que ça à faire ...

Deux hommes disparaissent, les autres m'entraînent jusqu'à la herse. Le sang s'agite un peu plus dans mes veines à mesure que nous nous approchons. La porte a déjà été soulevée de moitié lorsque nous nous arrêtons devant.

- Vas-y, m'encouragent-ils, visiblement pressés de déguerpir. Tu sais qui remercier pour ton évasion.

Un frémissement me remonte l'échine, comme une caresse froide. Sans un regard de plus, je passe sous les pointes épaisses et m'infiltre en dehors de la forteresse.

Un poids incommensurable s'envole de mes épaules à la seconde où je sais avoir quitté la demeure de mon ennemi. Un garde m'attend de l'autre côté de la muraille, les rênes d'un cheval dans le poing. Ce n'est pas Helios, mais je vais devoir m'en contenter.

J'ignore alors ce qui me pousse à me retourner. Là, à travers les barreaux de la herse, j'observe une dernière fois le château. La célébration des noces bat son plein. Eléane doit y être, revêtue d'une robe plus somptueuse que jamais. Ai-je imaginé un instant qu'elle viendrait me dire adieu ? Non. J'aurais dû la tuer quand j'en étais encore capable.

- Donne-moi ta dague, gronde le timbre enroué de ma voix.

Le gardien paraît ne pas comprendre tandis que je récupère la bride. Ma mâchoire se serre. Je me détache de la vision de la bâtisse et monte en selle.

- Ta dague, je réclame plus fermement. Si tu me laisses partir sans me donner le moindre coutelas pour me défendre, tes efforts n'auront servi à rien, car je serai mort avant le lever du soleil.

L'homme n'est pas bien loquace mais finit par obtempérer. Plus vite il m'aura donné ce que je réclame, plus vite je serai parti. Et plus vite il recevra son or. Il me lance sa lame avant de reculer de quelques pas sécuritaires, une paume posée sur le manche de son épée.

Un sourire placide étire mes joues. Le cheval renâcle. D'un coup de talons, je lance ma monture au galop dans la direction opposée du château.

Le souhait de la Duchesse sera respecté, car je compte bien m'éloigner d'elle autant que me le permettront les foulés de mon destrier.

Pourtant, à mesure que je creuse la distance avec la demeure de Brivour, la douleur ne faiblit pas. Elle demeure en moi, au même titre que le visage de la femme qui m'a trahi. La colère s'imprègne un peu plus dans mon être. Et elle me consume, tout entier.

Feu et GlaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant