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-Et maintenant, nous allons retrouver Martin Weill, notre envoyé spécial en duplex depuis les Etats-Unis. Salut Martin !

-Salut Yann ! répondit le jeune reporter, le sourire aux lèvres.

-Comment ça va là-haut ? Qu'as-tu fait aujourd'hui ?

-Eh bien ça va. Aujourd'hui, nous avons rencontré une association féministe luttant contre le mandat de Donald Trump, on te passe les images tout de suite.

Clément signala au reporter que le magnéto qu'ils avaient préparé cet après-midi était lancé. Hors-antenne, Martin prit une gorgée d'eau et échangea quelques mots avec son caméraman. Cela faisait maintenant deux mois qu'ils étaient partis. Ils retournaient en France dans deux semaines. Deux petites semaines à tenir, ça n'était pas la mort. Mais Martin, pourtant habitué des grands et longs voyages, n'avait qu'une envie ; rentrer chez lui. Son lit lui manquait atrocement, ainsi que toute sa famille, ses amis, et également son chat. Il alluma rapidement une cigarette, d'un geste compulsif, mais Clément le rappela à l'ordre deux minutes plus tard alors qu'il n'avait même pas fumé la moitié. Il fallait reprendre le duplex. A contre cœur, Martin jeta sa clope sur le sol et l'écrasa du bout du pied. Il souffla la fumée restée dans ses poumons du bout des lèvres et fit un signe de tête à Clément. Le caméraman lui fit le décompte du bout des doigts, et Martin s'efforça de montrer une joie feinte sur son visage. La voix de son patron résonna dans ses oreilles, et, fixant la caméra en sachant que Yann le voyait en ce moment même, il sourit de manière plus naturelle. Il l'imaginait assis derrière le décor, ses fiches devant lui, ses lunettes à la main, regardant l'écran géant avec un sourire en coin à peine dissimulé. Il regretta amèrement de ne pas avoir également un retour caméra depuis le studio, une fois de plus.

-Martin ? Tu nous entends toujours ?

-Oui, excuse-moi. Il me semble que nous passons sous un pont, blagua le reporter. Allô, Yann ?

-Martin, arrête de faire le con, le morigéna son patron, dont on sentait tout de même l'amusement dans la voix. En tout cas merci pour ton reportage. On vous retrouve demain, tu nous expliques rapidement ce que vous allez nous présenter ?

Martin résuma en trois phrases leur projet du lendemain, ne s'attardant pas sur le sujet. Le présentateur avait certainement dépassé le timing, comme d'habitude. Que serait l'émission sans son retard légendaire ? Martin rit doucement en se remémorant chaque début d'émission, quand il était encore en France. La voix tendue de leur patron qui répétait sans cesse : « Ce soir les enfants, nous serons à l'heure. Il faut absolument que l'on soit à l'heure, c'est compris ? » Evidemment, cela ne s'était jamais produit, et les petits pics de stress de Yann étaient devenus une sorte de rituel avant chaque émission, l'équipe se souhaitant à tous d'être à l'heure, comme pour se porter chance.

-Merci Martin ! A demain.

-Salut Yann.

La voix de son patron ne se fit plus entendre dans son oreillette. Un grand calme régnait dans ses pensées, heureux d'avoir pu échanger, une fois de plus, quelques mots avec son collègue et grand ami. Clément coupa tous ses dispositifs pour le duplex, remballant son matériel avec précaution. Martin l'aida, désormais habitué au besoin d'ordre du caméraman. Chaque objet qu'il utilisait avait sa manière d'être replié, rangé, et transporté. Ces trucs-là coûtaient très cher, et Clément, auparavant, refusait que quiconque ne touche à son matériel chéri, ne voulant pas risquer une casse. Tout ceci lui avait été prêté par la production, et il trouvait cela logique de le rendre dans l'état où il l'avait reçu. Au bout de quelques semaines, Clément s'habitua à ce que Martin porte quelques objets, mais il lui fallut du temps pour accepter qu'il l'aide à ranger. C'est en voyant un jour la précaution méticuleuse du reporter à reproduire les gestes de Clément à l'identique qu'il entreprit de lui accorder sa confiance. Etrangement, c'est depuis ce jour-là que leur relation s'était améliorée, car on ne peut pas dire qu'ils se soient bien entendus dès le départ. Leurs tempéraments étaient tous deux clairement opposés.

Clément était quelqu'un de très stressé par le temps, par les événements, par la météo, par les duplex, par les trajets, par à peu près tout en réalité. Chaque chose qui n'était pas prévue dans le planning était juste inadmissible à ses yeux. Martin était tout le contraire. Il était un mec assez bordélique, voulant voyager jusqu'à la mort, aimant se laisser porter par le vent et le cours des évènements, dont il retournait à chaque fois la situation pour la mettre à son avantage. Sa capacité d'improvisation, d'adaptation, ainsi que son intuition étaient de grandes qualités en tant qu'envoyé spécial. Clément avait la capacité de le contenir, de le rappeler à l'ordre quand cela était nécessaire, et de cadrer leurs aventures pour qu'elles ne partent pas dans tous les sens. Il se demandait souvent ce qu'il se serait passé si Martin était partit seul. A chaque fois que cette pensée lui traversait l'esprit, il soupirait en imaginant déjà le reporter en train de sympathiser avec une tribu amérindienne, à moitié nu, couverts de peintures sacrés, ayant réussi tous les rites d'initiation. Mais malin comme il était, il aurait quand même réussi à intégrer tout ça dans son enquête sur la présidentielle américaine. Clément esquissait tout de même à chaque fois un sourire en pensant à ses talents journalistiques. Martin Weill ne finirait jamais de les étonner de jours en jours.

-Tout est rangé ? demanda le caméraman.

-Oui, ça y est. On dépose tout ça à l'hôtel et on pourra aller manger quelque chose.

-Je tuerai pour manger un jambon-beurre dans le jardin du Luxembourg.

-Arrête de parler de Paris, grommela Martin.

-J-14.

Le duo s'échangea un sourire triste et quitta la rue.





c'est ma toute première fiction bartheill, alors soyez indulgents haha, et merci d'avoir lu!

La minuscule terrasse en béton brutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant