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            Comme à chaque fois qu'il prenait l'avion, Martin régla les aiguilles de sa montre à l'heure du pays d'arrivée. Il les avança de 18heures, heure new-yorkaise, à minuit, heure française. Cela faisait déjà quatre heures qu'ils étaient en plein vol, il en restait encore quatre autres. Alors que les deux amis aurait dû dormir pour atténuer les effets du décalage horaire, Clément lisait un magazine quelconque et Martin ne tenait pas en place. Il avait tellement hâte de fouler le sol français qu'il trépignait dans son siège comme un enfant.

-Martin, je te promets que si tu n'arrêtes pas d'être aussi chiant, je demande à une hôtesse de l'air si elle veut bien te balancer dehors par un hublot. Qu'est-ce que t'as sérieux? C'est rentrer en France qui te met dans cet état là? lui demanda Clément en posant son magazine sur ses genoux, agacé.

-J'en sais rien, soupira le reporter en prenant son portable.

-Messieurs? Martin leva les yeux vers l'hôtesse particulièrement charmante qui venait de leur parler.

-Nous allons traverser une zone de turbulences. Il serait plus prudent d'attacher vos ceintures. Merci.

Elle leur adressa un sourire charmant et resta plus de temps que nécessaire à fixer Martin dans les yeux. Lorsque son regard dévia vers sa bouche, elle se leva et partit voir des autres passagers. Brune, yeux noisettes, de jolies fossettes et un visage aux rondeurs adorables ; les deux hommes ne pouvaient être que charmés. Martin se retourna vers Clément, craignant d'avoir mal interprété les signaux venant de l'hôtesse. Clément lui fit un signe de tête en déglutissant.

-T'as un ticket mon pote. Et aussi un moyen de te détendre.

-Putain, Clément! A quoi tu penses, sérieusement? s'offusqua le reporter en se tournant vers lui avec de grands yeux ronds.

-Arrête Martin, on est des adultes, c'est bon. T'as trente ans ou t'en as quinze? il secoua la tête. Dis-moi, en toute honnêteté, ça fait combien de temps que t'as pas...

-Clément! C'est bon je te dis, stop, le coupa vivement Martin, jetant des petits coups d'œil autour de lui.

Il n'avait nullement envie de répondre à Clément. Et il était assez choqué d'entendre de tels propos sortir de sa bouche. Il avait pensé son coéquipier beaucoup plus réservé et discret sur ce genre de sujet, évitant le plus possible les conversations portant dessus. Mais apparemment le caméraman avait l'air d'en parler assez librement, contrairement à Martin qui rougissait au moindre sous-entendu. Il avait été de ceux qui en parlent sans complexe, mais des évènements passés avaient fait changer la donne. Cela faisait des mois et des mois qu'il n'avait pas fait l'amour avec quelqu'un. Durant un temps, il avait eu de nombreuses expériences avec des femmes, puis un jour il s'était laissé tenter à une relation homosexuelle alors qu'il avait bu quelques verres en trop. Les sensations qu'il avait ressenties lui avaient donné l'impression que tout ce qu'il avait fait auparavant était extrêmement fade et vide de sens. Il avait recommencé une fois, complètement sobre, et la vague de sensations et l'orgasme puissant qu'il avait eu l'avaient effrayé. Depuis, cela faisait plus d'un an qu'il n'avait pas eu de relations sexuelles avec quelqu'un et il ne voulait plus en entendre parler. Il ne se sentait pas homosexuel et avait simplement essayé par curiosité. Il se savait avoir eu quelques penchants bisexuels, notamment durant l'adolescence, mais il ne l'avait pas réellement accepté et avait choisi de ne plus y penser, de faire abstraction de ses questionnements. C'est en arrivant à l'école de journalisme, bien plus âgé, qu'il avait plus ou moins accepté cette attirance pour les hommes en plus des femmes, qui restait cependant superficielle, n'allant jamais au-delà d'un simple baiser. Et c'est en travaillant au Petit Journal, côtoyant un milieu décomplexé par rapport à l'homosexualité qu'il se fit inviter par un ami à une soirée gay. Martin avait accepté en précisant bien à son collègue que ceci restait entre eux et qu'il y allait par simple curiosité. Pour son collègue, il était clair et net qu'il n'arrivait absolument pas à s'assumer, car il avait déjà vu sa différence de comportement face aux hommes et aux femmes, et surtout ses réactions. En tout cas, ses désirs furent respectés et personne ne su jamais rien de cette nuit emplie d'alcool et de sexe.

La minuscule terrasse en béton brutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant