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Il était deux heures du matin. Yann se leva. Cela ne servait à rien de rester allongé sur son lit, changeant de position, se tournant et se retournant dans sa couette toutes les deux minutes. Il lui était impossible de s'endormir alors que deux des membres de son équipe étaient en plein vol. On ne pouvait jamais savoir ce qui allait arriver, et Yann était assez stressé quant aux possibilités d'un certain crash aérien. Il ne pourrait pas s'endormir avant de savoir Clément et Martin en sécurité sur le sol français, bien rentrés chez eux. Il avança dans la cuisine, ses pieds nus rencontrant le carrelage glacé. Il attrapa son sweat bleu marine préféré qui trônait sur le dos d'une chaise haute. Il l'enfila, cette épaisseur lui tenant bien plus chaud que son tee-shirt. Il démarra sa tassimo qui faisait un bruit de tous les diables. Il grimaça en frottant la plante de son pied gauche contre sa jambe droite, couverte de son bas de pantalon à carreaux en molleton, tentant de se réchauffer un minimum. Nous étions en plein mois de décembre et il avait autre chose à faire que de tomber malade. Une fois son café prêt, il s'installa sur son canapé et se couvrit d'un plaid. Il alluma la télévision et alla dans ses différents programmes enregistrés. Son disque dur était rempli d'anciennes émissions du Petit Journal et de Quotidien.

L'année dernière, il avait enregistré la première émission de septembre du Petit Journal, car il savait que la bienveillance dont lui avaient toujours témoignés les grands patrons de Canal+ ne ferait plus long feu, ainsi que la liberté de parole accordée à son émission ; il allait être muselé, dirigé, surveillé. Bolloré avait pris le contrôle de la chaîne, au grand damne de Yann. Il avait donc pris soin de programmer l'enregistrement de son émission pour qu'il se fasse chaque soir. Il voulait garder une trace de son précédent travail, de son passage sur Canal+, de ce qu'il avait fait. Lorsqu'il n'arrivait pas à dormir, il aimait se repasser certains extraits, connaissant parfois par cœur les interviews, les chroniques, les échanges. Yann ressentait une profonde nostalgie, mais aussi une certaine satisfaction ; il pouvait ainsi voir l'évolution positive entre les deux formats sur deux chaînes différentes. Lorsque TF1 lui avait fait une proposition pour intégrer leur groupe, Yann avait longuement hésité, se souvenant notamment des nombreuses critiques qu'il avait faites à propos d'eux. Les studios TF1 étaient connus pour diriger les émissions d'une main de fer, ne laissant aucune place à l'improvisation. Les présentateurs ne pouvaient pas dire ce qu'il leurs plaisait ; le mot d'ordre était le politiquement correct. Après de nombreuses nuits passées à s'interroger, Yann en était venu à une conclusion évidente ; s'il restait sur Canal+, l'émission si particulière qu'il avait créée serait censurée, et il en était de même s'il allait sur TF1. Cependant, il ne pourrait pas entretenir une conversation avec Bolloré sur l'évolution de son émission ; il allait se faire rembarrer car le nouveau grand patron voudrait le formater pour qu'il rentre dans le moule et cesse d'être aussi impertinent. Cependant, il savait que TF1 souhaitait effacer son image de chaîne à tendance de droite, peu proche de son public, ayant un journal aux informations bien choisies. Il avait donc toutes les cartes en main. Les négociations avec le studio TF1 pour avoir carte blanche ainsi qu'une parole entièrement libre seraient rudes, mais pas impossibles. Il était la clé pour donner un coup de souffle à la chaîne TMC. Et bien évidemment, il était sorti vainqueur de leur longue discussion. Les enregistrements de Quotidien sur son disque dur n'étaient donc présents que par pure fierté. Il souhaitait garder toutes les émissions de cette première année, pour ainsi comparer avec celles du Petit Journal, mais aussi pour pouvoir les regarder dans quelques années avec nostalgie.

Il mit un épisode au hasard et se laissa emporter par les souvenirs, découvrant à nouveau ce que les spectateurs voyaient depuis leurs télévisions. L'émission n'était pas si différente depuis le plateau. L'esprit bon enfant et léger qui régnait au sein de l'équipe transperçait l'écran, faisant sourire Yann à chaque sottises de ses chroniqueurs. Il but deux cafés et regarda deux émissions. Quand il jeta un œil à l'heure, il vit qu'il était 4 heures et 12 minutes. Il s'étrangla avec son café, mit l'enregistrement sur pause, dégagea le plaid de ses jambes et courut dans sa chambre pour prendre son portable, posé sur sa table de nuit. Cependant, il n'avait aucun appel en absence, et aucun message de Martin ou de Clément. Son cœur fit un bond dans sa poitrine et ses mains se mirent à trembler. Ils devaient arriver à 4 heures du matin. Avait-il oublié de leurs demander de l'informer de leur arrivée ? Devait-il les appeler ? Allaient-ils le faire une fois rentrés chez eux ? L'avion s'était-il bien posé ? Il était persuadé qu'il avait demandé à Clément de l'appeler dès qu'ils seraient descendus de l'avion. Il décida donc de retourner sur son canapé, sous son plaid, mais en gardant son portable auprès de lui. Ils allaient l'appeler. Yann l'espérait plus que tout. Il attrapa la télécommande d'un geste tremblant et l'émission reprit son cours. Au bout d'un moment, l'heure du duplex de Martin arriva et Yann ne put s'empêcher de sourire lorsqu'il se vit et s'entendit dire :

La minuscule terrasse en béton brutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant