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Yann était dans sa Citroën DS, se demandant pour la millième fois ce qui lui avait pris. Cela faisait 22 heures qu'il n'avait pas dormi et il avait pris la route pour aller chercher son chroniqueur à l'aéroport, qui était, bien évidemment, en dehors de la capitale. Il soupira alors qu'il actionnait son clignotant gauche pour s'engager sur le périphérique de Paris. Il n'aurait jamais dû faire ça. Mais qu'est-ce qu'il était con. Il aurait pu convaincre un taxi de se déplacer, trouver une autre solution. Non, il avait tout simplement préféré enfiler un jean, des baskets, garder son vieux sweat, attraper ses clés et foncer dans les rues de Paris. Il ne se sentait nullement endormi mais avait peur que ses yeux fatigués par les écrans et le peu de sommeil ne lui jouent des tours. Il se concentrait donc le plus possible, observant chaque recoin de la route. Il mit un peu de musique, cherchant à soulager son stress. Une chanson de Fishbach démarra, provenant du CD acheté par ses soins avant de recevoir la jeune chanteuse fraîche et talentueuse dans son émission. Il avait adoré son style assez marginal et se passait en boucle l'album dès qu'il montait en voiture. Ses doigts sur le volant se décrispèrent et il se détendit un peu. Le taxi de Clément devait déjà être parti, et Martin devait attendre seul devant l'aéroport, ou peut-être à l'intérieur, assis quelque part, sa valise à ses côtés. Il devait probablement jouer à un jeu sur son portable, ou écouter de la musique. Peut-être qu'il envoyait des messages à chaque personne de son entourage, les prévenant de son arrivée. Il se pourrait même qu'il soit au téléphone avec ses parents malgré l'heure. Il prit la prochaine bretelle d'autoroute, direction l'aéroport. Martin habitait dans le 15ème arrondissement de Paris alors que Yann habitait dans le 16ème. Ils allaient devoir circuler dans la ville après 5heures du matin, et ce n'était pas une bonne chose. Le trafic à cette heure était abominablement dense, car les premiers employés se rendaient à leur travail, et nombreux étaient ceux qui partaient à cette heure pour "éviter les bouchons". Ces idiots arrivaient toujours à penser qu'aucune voiture ne serait présente dans la capitale. Yann l'avait compris avec les années, Paris était une ville qui ne dormait jamais. Et ce matin, il allait en faire les frais. Il soupira une énième fois. Qu'est-ce qu'il ne ferait pas pour son journaliste, son petit protégé ; aussi petit que lui d'ailleurs.

La première fois qu'ils s'étaient rencontrés, Martin était encore jeune. Certes, il l'était toujours, mais moins. Il n'avait que 25 ans à ce moment-là, mais déjà de nombreux voyages à son actif. A l'époque, il travaillait pour Maïtena dans Le Supplément, sur Canal+, mais il œuvrait dans l'ombre. La présentatrice avait tout de suite cerné son talent et son envie d'aller plus loin, de pouvoir étendre pleinement ses capacités sans être bridé. Le Supplément n'était pas une émission dans laquelle il pourrait s'épanouir et faire évoluer son travail. Elle avait donc eu la brillante idée de lui faire rencontrer Yann. A l'époque, cela faisait deux ans que celui-ci présentait Le Petit Journal indépendamment du Grand Journal, ayant son propre plateau et un créneau d'un quart d'heure. Yann souhaitait agrandir son émission, et pour cela, il avait besoin de nouveaux journalistes et de nouvelles chroniques. Il recherchait surtout des jeunes, pouvant dynamiser l'actualité en montrant les aspects cachés de l'information, tout en humour et légèreté, pour ainsi créer une émission unique à la télévision française ; du jamais vu. Canal+ lui avait donné son feu vert, mais désormais, il ne manquait plus qu'une équipe. Et en lui présentant Martin, Maïtena avait tapé dans le mille. Il représentait tout ce que Yann voulait créer. Il serait un des premiers de cette vague de nouveaux journalistes, tous plus engagés les uns que les autres. En proposant du contenu différent, un autre œil sur l'actualité étrangère et des reportages dans des endroits inédits, où la violence n'est pas cachée et vécue en direct, Martin se démarqua. La voix tremblante à cause du stress, il avait expliqué ce qu'il voulait faire à Yann, et il avait décroché un an d'essai au Petit Journal. Il faut le dire, sa timidité avait fait hésiter le présentateur. Un envoyé spécial ne devait pas être stressé par la prise de parole face à un inconnu, car son métier reposait entièrement là-dessus. Ce qui avait fait pencher la balance en sa faveur avait été son regard, droit et fougueux, montrant que ce petit gars était un passionné pouvant faire preuve d'une détermination sans faille. Yann espérait ne pas s'être trompé, et que Martin pourrait lui réserver quelques surprises.

La minuscule terrasse en béton brutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant