VI. Fantôme de cannelle

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      Le lendemain, au lieu de prendre ma toile à terminer, j'ai emporté mon carnet. Je le serrais dans mes bras, dans le bus, comme l'objet le plus précieux que je n'aie jamais eu. Pour une fois, je n'ai pas écouté la musique que ma mère aimait, dans mon casque. Ce matin, avant de partir, je me suis fait une playlist de Daughter. Des chants doux ayant un sens nouveau guidèrent mes pensées jusqu'au lycée.

      Comme tous les jours, certains m'ont regardée de travers, avec mon look débraillé. J'aimais mon jean noir, mes Doc ainsi que mon gros pull vert foncé et mon écharpe toute douce. Mes cheveux noirs bouclés s'étalaient dans tous les sens dans mon dos. Mon seul effort de la journée avait été de me les démêler.

      Je passais en vitesse en salle d'art pour y déposer mon carnet, et filai en cours pour le restant de la matinée. Je n'avais pas histoire ni art, alors je pouvais déprimer dans mon coin en dessinant des planètes – oui, encore – dans les coins de mes cahiers de maths.

      Plusieurs fois, je me suis fait rappeler à l'ordre, trop dans mes pensées.

      Comme à toutes les récréations du matin en ce moment, je pris mon infusion au doux parfum de cannelle à la cafétéria du lycée, et allai respirer dehors.

      Sur mon banc, je laissai le froid vigoureux passer dans mes poumons en fermant les yeux. Cela agit comme un tranquillisant sur moi. Mon père était allé chercher ma prothèse tôt ce matin, et, bien que plus discrète, elle me faisait toujours mal. En réalité, ce n'était pas la prothèse qui me faisait toujours mal, mais mon corps qui souffrait tout seul. Saleté d'accident.

      J'ouvris les yeux, en regardant droit devant moi.

      Je croisai son regard.

      Le même regard qu'hier. Les mêmes yeux bleu océan parsemés d'étoiles. Les mêmes que j'avais dessinés hier dans mon carnet. Les mêmes, qui me regardaient à la fois avec curiosité et admiration. Les mêmes, qui me firent me sentir vivante. Vulnérable. Je ne me fondais plus dans le décor comme auparavant. On m'avait remarquée.

      Ces yeux bleus appartenaient à un garçon de mon âge. Cheveux bruns. Visage enfantin, doux et délicat comme s'il allait se briser. Un de ses amis se tourna vers moi, avant de donner un léger coup dans l'épaule, comme pour dire au garçon qu'il n'y avait rien à regarder là où j'étais. Mais mister yeux bleus continuait à me regarder. Il me sourit.

      Pour une fois, je n'étais plus un fantôme.  

#teaminfusiondegrandmère

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