Chapitre 2 : le Musée

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Le "0" a raisonné dans ma cellule. La porte s'est ouverte. J'ai hésité. Et maintenant je cours. Je traverse une ribambelle de couloirs. Ils se ressemblent tous. Je cours. Au début, la lumière éclatante m'a éblouie ; cela faisait trois jours que je vivais dans une pièce à peine éclairée.

Je cours toujours. Pourquoi est-ce que je ne croise personne ? Où sont les autres Dévoués ? Je cours. J'ai l'impression que mes poumons vont exploser. Ça fait trop longtemps que je n'ai pas bougé ; ma cellule de préparation étant une étroite salle d'à peine trois mètres carré.

Mais je continue. De toute façon, lorsque je serai poursuivie par la Mort, je serai bien obligée de courir...

Bientôt, je traverse une salle ; puis une autre. Dans chacune d'elle, des statues se dressent. Je m'arrête essoufflée. J'observe autour de moi. Je dois être dans une sorte de musée. Un musée de sculptures... Pour l'instant, il n'y a rien de vraiment horrible. Et c'est ce qui me fait peur ! Habituellement, les criminels (la population n'a pas trouvé d'autres noms pour les nommer...) ne dissimulent pas leurs atrocités...

- Bienvenue chers téléspectateurs. Nous vous souhaitons de passer un agréable moment devant notre émission, filmée en direct, je vous le rappelle. J'espère que, vous aussi, chers participants, vous allez profiter de cette expérience unique qui vous est offerte gratuitement, je tiens à préciser !

Cette voix m'exaspère ! Chaque année, elle prend un malin plaisir à commenter le jeu. Déjà, lorsque je suivais ces horreurs à la télé, ce présentateur invisible m'horripilait mais maintenant que je vis le jeu en "live", je sens que je ne le supporterai pas. Cette voix toute fluette, toute innocente, critique la mort de chaque Dévoué et se désespère lorsque l'un d'eux survit.

- Comme vous avez pu le constater, nos chers Dévoués sont enfermés dans un musée. Vous avez aussi pu voir qu'il n'y avait rien d'horrifiant dans cet endroit. Désormais, vous pourrez dormir sur vos deux oreilles car rien de visible menace vos Dévoués.

Intérieurement, je lui hurle les pires insultes que je connais (j'imagine que je n'ai pas besoin de vous les décrire...). Je ne sais pas qui se cache sous cette voix mais cette personne a un humour des plus douteux. 

- Chers téléspectateurs, attendez-vous à du grand spectacle ! Plus jamais vous ne verrez une statue comme avant !

Je m'arrête brusquement. Je me tourne face à la sculpture d'un bébé ange. Que peut donc bien cacher ce morceau de roche ? De multiples détails finement creusés dans la pierre ont été abimés par le temps. Pourtant, ses petits yeux continuent de me fixer. Du moins, est-ce mon impression.

- Oh... Je vois que notre chère Dévouée nommée Haley est intriguée...

La Voix parle de moi.

- Peut-être a-t-elle envie de découvrir les horreurs de ce musée ?

Je me crispe. Que me réserve les criminels ?

- Malheureusement, nous n'avons rien prévu pour le moment... Mais peut-être que, dans quelques minutes, le Jeu commencera réellement avec tous ses amusements habituels... ?!

J'ai un soupir de soulagement ; encore quelques minutes de répit.

La porte s'ouvre brutalement.

- Ferme ta... Oh !

Un grand ado à la peau mâte apparaît. Il s'interrompt dès qu'il m'aperçoit.

- Et les gars, venez-là ! J'en ai trouvé une !

Une trentaine de Dévoués arrivent. La pièce devient tout de suite trop petite pour nous tous. S'ensuit des présentations interminables. J'apprends que celui qui m'a "découverte", se prénomme Marco.

Puis on attend en silence qu'une certaine Julia ait fini de nous compter. Pendant ce temps, j'observe ceux qui seront mes coéquipiers si je veux survivre - car il est évident que si je veux rester en vie, il me faudra des alliés. Autour de moi, il y en a de toutes les tailles. Nous avons tous entre 8 et 25 ans environ. Les plus jeunes pleurent ou ont les yeux bouffis tandis que les plus âgés dissimulent leurs émotions sous un visage de marbre.

Nous attendons le verdict dans le silence. Au bout d'un moment, la réponse de Julia fuse :

- Nous sommes 32.

Personne ne fait de commentaire. Nous savons tous ce que cela signifie. Nous aurions dû être 50. Nous sommes 32. Ce qui veut dire que 18 enfants ont décidé de rester dans la cellule de préparation et de mourir asphyxié. Soudain, je me demande si je n'aurais pas dû faire comme eux... Alors que je suis en train de me noyer parmi mes pensées désespérées, la Voix annonce, l'air enjouée :

- Attention ! Dans quelques secondes...

On attend, immobile, la fin de sa phrase ; mais rien ne vient. Marco lui hurle un tas d'injures. Quelqu'un se met à pleurer. On a tous notre façon de réagir au stress. Moi, je tente de garder mon calme et d'arrêter les tremblements de mes mains.

Enfin, la Voix reprend :

- Tic tac. Dans plus qu'une ou deux secondes...

Soudain, un hurlement déchire le silence. Nous nous mettons tous à courir ; certains sont paniqués, d'autres cherchent la provenance du cri. On se pousse. On se bouscule. Le hurlement continue de me transpercer les tympans. Ce tohubohu dure jusqu'à ce que quelqu'un ouvre une porte avant de glapir à son tour. Tout le monde accourt. L'horrible hurlement s'arrête brusquement. Je suis le flot de Dévoués et me retrouve dans une salle semblable aux autres. Comme dans chaque pièce, des statues de pierres nous dominent, immobiles dans la lumière pâle diffusée par un vieux lustre. Mais dans celle-ci, le corps d'un enfant git sur le sol. Nous approchons.

C'est un jeune garçon qui ne doit pas dépasser les 10 ans. Ses yeux sont grands ouverts dans une expression horrifiée. Ses membres forment des angles impossibles. Son cou est tordu et tombe sur le côté. Des larmes roulent sur ses joues. Sa respiration est sifflante, presque inexistante. Quelqu'un lui prend la main. Certains gémissent. D'autres pleurent. On reste près de lui sans dire un mot.

Bientôt, sa poitrine se soulève pour la dernière fois.

Quelqu'un lui ferme les yeux.

Qui a pu faire ça ?

J'ai déjà vu maintes fois ce terrible Jeu à la télé. J'ai déjà vu maintes enfants mourir d'une atroce façon à l'écran. Mais maintenant, la réalité me frappe en plein fouet. Je me rends compte de ce que c'est que de "vivre" le Jeu.

- Et bien voilà ! Notre Jeu commence enfin !

La Voix rit.

A suivre...

Ne clignez pas des yeux !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant