Chapitre 8 - Ariana

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          Ma nouvelle garde-robe est franchement plus stylée que la précédente, même s'il faut reconnaitre qu'elle est tout aussi monochrome : le noir domine largement. Après quelques minutes de réflexion, je choisis une petite jupe plissée (noire, of course), une chemisier blanc dont « j'oublie » de fermer les boutons du haut, un petit foulard noir à pois blanc noué sur le côté et des collants résilles. Comme promis au khaghän, je glisse une dague dans ma botte droite. Pour aujourd'hui, je vais éviter l'option fourreau sur la cuisse : ma jupe est une fois de plus trop courte pour ça.

         A mon arrivée, tous les garçons du lycée ou presque, se précipitent en souriant pour m'embrasser et, comme d'habitude, mes lèvres glissent, par accident, sur leurs lèvres, sous le regard furieux des filles. Il faut dire que la plupart en profitent pour me serrer quelques secondes dans leurs bras. Même Théo, le petit ami de Paulina, lâche la taille de sa copine pour venir prendre sa dose, quitte à se faire pourrir toute la matinée par sa douce et sa bande. Je ne donne pas cher du futur de leur relation ! D'ailleurs, Paulina se dirige vers moi, le visage crispé par la colère.

- « Laisse mon copain tranquille ! Ça te suffit pas de te taper tous les garçons du lycée ? Tu te rends compte que tu as une réputation de... de dévergondée ! »

Je lui souris d'un air angélique (si, si !)

- « Mais c'est pas de ma faute si les garçons m'apprécient autant ! Peut-être que ton cher Théo serait content que tu sois un peu plus dévergondée ? C'est pas pour dire, mais il a l'air de s'ennuyer ferme... »

Elle rougit violement, se retourne et part d'un air déconfit. Alyssa me regarde d'un air mi-figue mi-raisin, à la fois fière de moi et déstabilisée par mon comportement, tandis que Manon me tape dans la main en s'esclaffant et part vers le bâtiment des Arts appliqués sans cacher son amusement. Piquée dans son épais chignon, sa dague brille dans les rayons du matin.

         Je passe exprès sous le nez de Samuel Barghest (tout juste si je ne lui écrase pas les pieds) et je note qu'il ne peut s'empêcher de baisser les yeux sur mes jambes gainées par la résille. Une fois de plus, il est le seul à ne pas m'avoir saluée.

- « Alors beau brun, on se rince l'œil ? » Je lui lance, avec une œillade provocatrice.

- « Pourquoi ? Tu ne fais pas ça dans ce but ? » Me répond-il, sarcastique et distant.

Mais il m'énerve, ce type ! Je me jure à moi-même qu'un jour il rampera à mes pieds... En attendant, je rumine toute la matinée pour trouver un moyen de l'obliger à me parler et, faute de mieux, découvrir s'il est, ou pas, un Sahir. En fin de journée, je demande à Manon de m'accompagner le lendemain après-midi en ville, histoire de profiter du cours d'allemand de Barghest pour farfouiller un peu chez lui.

         Du coin de l'œil, je vois Alyssa qui nous regarde d'un air sombre. Avec un soupir, je congédie Manon, d'un geste de la main et je vais la rejoindre. Après tout, c'est ma meilleure amie depuis des années et tout le monde le sait...

- « Qu'est-ce qui cloche ? Pourquoi tu boudes, là ? »

Elle hésite, puis, sous mon regard inquisiteur, se lance :

-« C'est qui cette Manon ? Depuis quand c'est ta meilleure copine ? On ne lui a même jamais adressé la parole ! »

Quelque chose en moi se met en mode diagnostic et identifie formellement le sentiment exprimé : JALOUSIE. Il m'indique même la marche à suivre ! C'est étonnant, mais depuis trois moi que je suis dans ce corps, je commence à ressentir ce que les anciens qualifient de « porosité » entre mon hôte humaine et moi. Avec l'expérience, eux ont appris à s'emparer des souvenirs de leur hôte, ce qui explique que la Khaghän ou nos profs de français-latin, Mme Auguste et d'Histoire-Géo, M. Laforêt, soient capables de tenir leurs rôles à la perfection. Pour ma part, j'ai hérité depuis le début des capacités scientifiques et des qualités sportives d'Ariana. Manon, elle, sait dessiner à la perfection et jouer de la guitare... En ce qui concerne les sentiments, c'est une toute nouvelle expérience, plutôt déconcertante, utile mais potentiellement dangereuse.

- « Mais c'est toi, ma meilleure amie, pour toujours et à jamais » Dis-je en lui posant un baiser sur la joue, convaincante et rassurante à souhait. « Je l'ai seulement rencontrée au dojo, tu sais ? Elle prend des cours de close-combat avec moi. Elle est sympa, c'est tout... »

- « C'est quoi, aussi, cette nouvelle passion pour le close-combat ? » se plaint-elle « Tu veux t'engager dans l'armée, ou quoi ? »

- « c'est rien. J'ai juste eu une mauvaise expérience cet été. Je ne veux plus jamais me sentir impuissante ! »

Devant son air curieux et inquiet à la fois, je sens qu'il vaut mieux clore cette conversation au plus vite.

- « Ecoute, je ne suis pas prête à en parler, là... Plus tard, c'est promis. » Mon visage s'est fermé et elle n'ose pas insister, mais je sens qu'il faudra lui raconter une histoire plausible un jour ou l'autre.

Finalement, je me préfère froide et insensible : c'est déstabilisant, ces histoires de sentiments humains. Et quelle perte de temps !


Note 1 : Barghest est bien un Sahir, comme l'indique le sigil sur la porte de sa cave. Et son corbeau a bien failli nous défigurer, Manon et moi !

Note 2 : Il devient urgent de mettre en œuvre la partie 2 de mon « plan Barghest » : demander leur aide à Caroline Auguste ou Jacques Laforêt.

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