Chapitre 10 - Ariana

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           Manon vient m'embrasser sur le parvis du lycée et je lui fais remarquer combien il est dommage de ne pas avoir remis sa dague dans ses cheveux.

- « Oui je sais, c'était classe ! Mais figure-toi que ça m'a aussi coupé une dread... Alors pour éviter l'effet ''tête de moroï '', j'ai préfèré changer ! » Me répond-elle en riant.

C'est MA Manon, ça : féroce et drôle à la fois ! Je ne passe plus assez de temps avec elle et elle me manque. Alyssa, depuis son banc un peu plus loin, nous regarde d'un air maussade qui m'agace. Je me plante devant elle, les mains sur les hanches.

- « C'est quoi ce sweat ? Tu crois que c'est comme ça que tu vas devenir populaire et plaire aux garçons ? Je croyais avoir été claire à ce sujet ! »

- « Oui, mais je l'aime bien et je ne savais pas quoi mettre ce matin. » Gémit-elle d'un air penaud tout en jetant un regard de chiot énamouré à Samuel qui franchit la porte.

- « Tss, tss ! Pas touche ! Chasse gardée ! Mais ne t'en fait pas, je sais avec qui je vais t'arranger un coup. Tu visualises les jumeaux canons de première ? Fais ton choix !»

Elle me lance un regard peu convaincu, mais qu'importe. Elle ne demande qu'à tomber éperdument amoureuse du premier garçon qui s'intéressera un minimum à elle...

              Pendant le cours de latin, comme prévu, Caroline Auguste nous propose des sujets d'exposés sur les empereurs romains et je me porte aussitôt volontaire.

- « Hum, très bien, qui va être le binôme d'Ariana ?... Elle parcourt la classe du regard et la forêt de mains masculines levées pour s'arrêter sur... « Samuel, si ça ne te dérange pas. »

Il a du mal à cacher sa réticence mais accepte d'un air résigné et à la fin du cours je le rejoins pour convenir d'un rendez-vous.

- « On pourrait se voir chez moi mais ma chambre est tellement quiche que j'aurais trop honte pour me concentrer. Sans compter ma mère et son côté intrusif... »

- « Chez moi, alors. » Soupire-t-il comme un condamné à la roue. « On sera tranquilles, je vis seul. »

            Le samedi à 14h, vêtue d'une robe T-shirt moulante, de mon blouson de cuir noir, un foulard rouge vif négligemment noué autour du cou, j'entre dans sa cour et me fais attaquer par le corbeau qui pousse des cris perçants et tente pour la deuxième fois de m'arracher un œil. Heureusement Samuel vole à mon secours et enferme son oiseau gardien dans la cave.

- « Je suis désolé » s'excuse-t-il « d'habitude Nero n'est pas agressif. Faut croire que lui non plus ne t'aime pas », ajoute-t-il avec un sourire en coin.

- « Nero ? Ah tient ? Evite de lui confier des allumettes, alors ! Et si on choisissait Néron, comme sujet d'exposé ? »

- « Si tu veux ; ça ira vite, je me suis pas mal intéressé au personnage et j'ai quelques bouquins sur lui... »

             Il me guide jusqu'à son salon noir et blanc. Nous nous installons dans le canapé de cuir design avec nos ordis portables et quelques vieux ouvrages reliés. L'immeuble a beau être très ancien, la pièce est sobre et moderne malgré ses boiseries blanches. Tout le contraire de ma chambre... Le travail avance vite en effet ; Samuel est érudit et efficace. Presque autant que moi. En attrapant une feuille pour organiser nos idées, je me coupe l'index sans y prêter attention. Je remarque soudain le regard de Samuel, fixé sur le papier : une empreinte dorée y est nettement visible. Je n'ai pas le temps de reprendre mes esprits qu'il bondit par-dessus le dossier du canapé et tend la main pour saisir un des katanas  accrochés au-dessus de la cheminée. Paniquée, je sors ma dague de ma botte, l'attrape par le cou et lui plaque le tranchant de la lame sur la gorge. Mon cerveau tourne à toute vitesse.

- « Bon sang ! C'est ça qui clochait chez toi : tu es une ShaÏtan ! »

- « Mais non, non, non ! Pas du tout ! Ça va pas ? C'est pas du tout ce que tu crois... Je suis une Sahir ! »

- « Les Sahirs n'ont pas réellement le sang doré, c'est juste une façon de parler. » Son ton est plutôt froid pour quelqu'un qui a une lame prête à lui trancher la gorge.

- « Eh bien moi si ! Il n'y a pas longtemps que je l'ai découvert, mais il y a aussi un signe sur ma porte, le même que sur la tienne. J'ai fait des recherches mais je n'ai pas trouvé grand-chose et mes parents prétendent que tout cela n'est qu'une vieille légende sans fondement... Je te garantis que mon sang était aussi rouge que celui de n'importe qui ; j'ai paniqué quand je l'ai vu couler doré en septembre ! »

Je sens son corps plaqué contre le mien se détendre enfin et j'étouffe un soupir de soulagement. Je baisse ma dague et il pivote vers moi, surpris mais visiblement convaincu. Mentir aux humains est décidément bien facile !

- « Tu es un Sahir, toi aussi, n'est-ce-pas ? C'est ce que j'ai pensé tout à l'heure en voyant le symbole sur ta porte. Tu peux peut-être répondre à mes questions ? »

- « C'est un sigil, me corrige-t-il doucement, le symbole des Sahirs. Seuls les Shaïtans et nous pouvons les voir. Quand à ton sang... je ne sais pas... Les Sahirs n'ont plus le sang doré depuis des générations. »

- « La loterie de la génétique ? » Je lui suggère en mettant mon doigt blessé dans ma bouche.

                Il est tout proche de moi, sa chaleur et son odeur m'enveloppent, ses yeux dorés me scrutent avec un intérêt nouveau. Je me penche légèrement vers lui, les yeux fixés sur sa bouche. Il ne bouge pas, comme changé en statue de sel, mais sa respiration s'accélère et j'entends son cœur battre la chamade. Je m'apprête à en profiter quand mon téléphone sonne, me fait sursauter et rompt le charme. Samuel cligne des paupières comme quelqu'un qui s'éveille et s'écarte de moi. Je regarde mon écran : c'est la Khaghän, il faut que j'y aille. J'invente rapidement une excuse pour me sauver. Sur le palier où il m'a raccompagnée, Samuel semble sur le point de dire quelque chose, puis se ravise et me laisse partir.

              Si elle n'est pas une surprise, la nouvelle annoncée par la Khaghän n'en est pas moins mauvaise : le Shaïtan disparu est bien retourné dans le néant. Son ''hôte'' est reparu à son domicile après un court séjour à l'hôpital pour amnésie partielle. Samuel a donc fait une victime parmi nous...

Note1: Embrasser Samuel la prochaine fois. Je veux savoir ce que ça fait ! + Penser à lui demander de la doc sur les Sahirs.

Note2 : Redécorer ma chambre en urgence.

Note aux lecteurs : Après mûre réflexion, nous avons procédé à une petite modification de l'histoire. Le Khaghän est devenu la Khaghän, le proviseur, une proviseure et la société Shaïtan un matriarcat.

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