L'envie de fuir. Toujours plus loin. La volonté de tout oublier. De classer ce qui venait de se passer dans la catégorie "mauvais rêves" et de laisser croupir là les évènements dont on avait été témoin. Une blessure mise à vive que l'on essayait de cacher sous des artifices pour se persuader soi-même qu'elle n'était pas là. Combien de temps ai-je mis avant de pouvoir mettre des mots sur ce qui s'était passé dans ma tête ce jour-là ? Ce jour suivant celui qui avait marqué la fin d'une vie. La fin de ma vie.
Je ne sais pas.
Je ne sais plus.
Seuls mes gestes restent gravés dans ma mémoire. Mes premiers gestes après l'enfer. Un sursaut. Un torse qui se relève brutalement du matelas où il était posé. Une main qui parcourt un front trempé de sueur. Une bouche qui s'hasarde à dire pour se rassurer :
- それはちょうど悪い夢だった
[Ce n'était qu'un mauvais rêve.]
Mes pieds qui battent le sol, qui se faufilent dans mes chaussons. Ma main qui frotte mon regard qui n'est pourtant pas ensommeillé, puis qui vient rejoindre la rambarde de l'escalier alors que mes jambes se risquent à le descendre. Ma poitrine qui me fait mal, me forçant à m'arrêter. Un simple pincement au cœur. Rien à voir avec mon rêve. Rien à voir...
Atteindre la cuisine, surjouer une bonne humeur pour vaincre le spectre de mon rêve qui planait encore sur mon humeur et mes pensées.
- おはよお母さん、お父さん !
[Bonjour maman, papa ! ]
La surprise du silence dans la pièce familiale. Une forme de déception s'emparant de mon corps. Mes yeux qui cherchent l'horloge murale de la cuisine, cadeau que j'avais fait à ma mère pour ses quarante ans. L'inquiétude d'être déjà en retard pour le lycée. Les souvenirs du rêve balayé par cette nouvelle angoisse. Le vide, trônant aussi bien dans l'absence de mes parents que dans celle de l'horloge que mes pupilles cherchaient si frénétiquement. Un soupir. Un sourire. Un geste de main pour chasser cette angoisse que mon esprit avait qualifiée de stupide. Puis cette même main qui s'avance avec sa jumelle pour me préparer un petit déjeuner.
Les œufs et le bacon cuisant doucement dans la poêle, la cafetière sifflotait. Une odeur de cramée, j'avais fait brûler mes œufs par inadvertance. Un nouveau soupir. Racler la poêle pour tenter de récupérer mon petit déjeuné, servir le café dans une tasse. Un râlement ; j'en avais renversé sur la table. Un coup d'éponge plus tard, je m'étais enfin attablé. J'avais gouté du bout des lèvres mes œufs. Ignobles. J'avais jeté un coup d'œil au bacon et avais essayé de m'en couper un petit bout pour faire un test qualité avant de tout engloutir et de mourir d'intoxication alimentaire. Impossible de séparer la chaire en deux ; le morceau de viande était aussi dur qu'une semelle. J'avais soupiré et avais tout de même bu mon café trop amer d'une traite avant de vider les restes infructueux de mon petit déjeuner.
Juste après avoir vidé la nourriture dans la poubelle, je m'étais rappelé que des milliers de gens mourraient de faim chaque jour. J'avais été pris de culpabilité et avais soulevé le couvercle. Mes œufs et mon bacon s'étaient mélangé à un vieux reste de sauce soja qui avait coulé dans la poubelle. Froncement de sourcil et de nez dû à un dégoût profond. J'avais refermé le coffre aux immondices que je venais d'ouvrir. Ma culpabilité avait disparu.
J'étais monté jusqu'à la salle de bain. Un coup d'œil à la glace m'apprit que mon état actuel était digne des zombies de série B. Un coup de brosse sur mes cheveux eut vite fait de les aider à retrouver un semblant de dignité. Ce fut ensuite au tour de ma brosse à dents de frotter vigoureusement mes dents. Enfin, une douche s'imposa. Le souvenir de mon cauchemar aussi. Appréhendant ce que j'allais voir, j'avais calmement commencé à enlever mon T-Shirt, avant de me rappeler que mon père m'avait dit que la douche fuyait. J'avais poussé un soupir qui aurait pu paraître agacé. Il était plutôt soulagé. Cependant, si cette panne me sauvait des bras de ma hantise nocturne, elle ne me faisait pas échapper à une journée aux senteurs de transpiration.
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Hackœur
Paranormal"Cher inconnu, Je lance cette lettre telle une bouteille à la mer afin qu'un jour, quelqu'un puisse répandre mon histoire. Je t'en prie, ne t'arrête pas de lire. Vas jusqu'au bout de mon récit. Car je ne doute pas que l'aventure q...