Chapitre 4 : Confronté

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J'avais reculer du miroir, effaré. Comme si le cylindre d'où émanait une lumière bleue électrique allait sortir de mon reflet et se jeter sur moi. C'était absurde et inutile d'être effrayé : l'objet de ma peur était déjà en moi. J'avais alors pris mes jambes à mon cou, fuyant les toilettes comme si j'y avais vu le diable en personne. Mais le diable, je l'avais déjà au corps. C'était cette chose qui avait été implanté à même ma chaire.

Je m'étais alors retrouvé à parcourir les couloirs dans le courant inverse de celui de la mer d'élève qui retournaient en classe. Malheureusement, je n'avais pas réussi à éviter une élève. Alors que je m'attendais à ce qu'elle se heurte à un mur invisible - à savoir moi - elle m'avait traversé de part à part sans aucun effort. C'était très désagréable de sentir quelque chose de chaud passer dans mon corps. De le sentir caresser vos boyaux, rompre un instant la circulation de votre sang dans vos veines - si tant est que j'avais encore du sang dans les veines -, broyer vos os qui se replacent immédiatement après, emplir vos poumons de chair, vous privant d'O2.

Mais surtout, sentir qu'il vous manque une douleur. La plus importante des douleurs. Celle qui aurait pu vous donner encore un espoir. L'espoir que tout ceci ne soit qu'un très mauvais rêve.

Cette douleur manquante, c'était celle de mon cœur qui aurait du lui aussi souffrir de ce passage corporel dans mon anatomie. Ce cœur qui avait oublié d'avertir mon cerveau qu'il souffrait. Non, ce n'était pas un oubli, c'était normal que je ne ressente rien du côté gauche de ma poitrine, mon cœur avait disparu, laissant un trou béat dans mon être et dans mon âme. J'en aurais hurlé tant le manque de douleur était plus insupportable que la douleur en elle-même.

Non, je n'étais pas ressorti indemne de ce chassé-croisé de corps aussi bien mentalement que physiquement. Sans le vouloir, je m'étais laissé flotter à l'intérieur de la jeune fille et lorsqu'elle n'avait plus été là pour me soutenir, je m'étais écroulé. J'étais tombé à genoux, haletant, les yeux exorbités et je m'étais péniblement retourné pour voir la jeune fille qui m'avait "bousculé" disparaître dans une salle de classe en riant. Elle n'avait rien senti. Je m'étais relevé en titubant et avais de nouveau senti cette envie irrépressible de sortir que j'avais ressentie pendant mon rêve. Non, à ce moment-là, je m'étais giflé mentalement parce que tout ceci était réel. Ce n'était ni un rêve, ni un mirage. Juste la froide et dure réalité.

J'étais sorti du lycée en tenant l'ancien emplacement de mon cœur. Il fallait que je voie Hina. Et Suzaku. Et Heiji. Et Kazuto. Et mes parents. Il fallait que je trouve quelqu'un qui pourrait m'aider et me réconforter.Mes pas m'avaient conduit jusqu'à un immense bâtiment. Parce que encore une fois, mon enveloppe charnelle avait compris avant mon esprit. J'avais lu une pancarte désignant le lieu comme un lieu de crémation. J'avais dégluti, et j'avais cru un instant sentir les flammes caresser ma peau pendant que je passais la porte et que mes jambes me portaient jusqu'à une salle circulaire.Ils étaient tous là et j'ai cru que j'allais pleurer de joie en les voyant tous attroupé là, mais en voyant leurs visages tristes, mon élan de gaieté était retombé net.

Je m'étais prudemment approché. Tout le monde était en noir. Personne ne souriait. Il y avait toute ma famille et mes amis. Et ils pleuraient. J'avais regardé la boîte en carton vers laquelle leurs regards étaient tournés et d'où émanait une horrible odeur. Mon visage s'était décomposé lorsque j'avais lu le nom inscrit sur la boîte mortuaire.

"Kirigaya Shinichi"

Une bouffée de colère m'avait envahie. De quel droit m'avait-on déclaré mort ? Qui s'était permis de faire pleurer mes proches ? C'était ridicule ! Toute cette plaisanterie était ridicule ! Je m'étais pincé. Réflexe stupide, ça n'avait servi strictement à rien à part me faire mal. J'avais frotté mon avant-bras vigoureusement. Encore aujourd'hui je me le demande : qu'aurais-je pu faire ce jour là ? Je ne pouvais pas leur parler, je le savais, je ne pouvais pas leur dire que j'étais encore vivant. J'avais regardé mon torse et j'y avais vu une pâle lumière traversant la fine couche de mon T-shirt -je n'avais même pas pris la peine de remettre mon uniforme. Je savais déjà que ça ne servait plus à rien. Que je ne vivais plus.

HackœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant