condensation,

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《 l'ester est un composé organique résultant de la condensation d'une molécule d'alcool et d'une molécule d'acide (notamment d'un acide carboxylique) avec élimination d'une molécule d'eau. 》

ester détestait les sciences et les mathématiques. elle détestait le principe d'un monde où tout ne serait que stabilité et où tout aurait un parce que. si étrange que cela puisse être, ester ne croyait pas à la science. elle croyait que c'était juste un fouillis de choses sans intérêt, jadis créées pour apaiser la peur de certains hommes qui avaient l'impression de mal, voire de ne rien, comprendre à tout ce qu'ils voyaient, touchaient, ressentaient, entendaient, car ils ne voulaient tout simplement pas croire que c'était soit trop simple, soit sans explication. l'ignorance pouvait faire très peur, ester ne dirait jamais le contraire, au contraire, mais admettre que cette ignorance était parfois en position de supériorité lui était facile. ester, elle, refusait de s'appliquer cette pommade scientifique ridicule pour calmer ses douleurs d'ignorance, elle acceptait qu'il n'y ait parfois pas de solution, pas d'explication, pas de rationnel. d'ailleurs, à ça aussi elle n'y croyait pas, au rationnel. quelque chose était, quelque chose n'était pas, la question n'avait jamais été de décréter si cela devrait l'être ou pas selon quelques règles sorties d'une poche. oui, certaines choses existaient sans que quiconque puisse prouver un pourquoi cela. et tout ce qui était prouvé ne dépendait, de toutes façons, en aucun cas de ces preuves qui ne consistaient qu'à embrouiller assez pour faire abandonner quelque compréhension, ou pour faire admettre, tout en faisant croire au cerveau qu'il avait compris.

ester ne buvait pas d'alcool. elle était déjà bien trop convaincue de ne pas être elle-même, convaincue que la notion de soi n'existait que dans nos rêves les plus grands, inspirée de bourrage de crâne et de mythologie. elle n'arrivait pas à être sûre de quoi que ce soit et quand un trop sublime silence s'installait au creux de sa poitrine, elle tremblait de peur à l'idée de sombrer dans un éternel chagrin, n'arrivant plus à se détacher du savoir et du conscient de n'être qu'un rien. ester savait qu'elle n'était qu'un rien par dessous tout et s'en déchirait bien trop souvent. puisqu'un rien n'avait pas besoin de sens, qu'elle aurait beaucoup aimé trouver un sens, mais que tout s'acharnait à lui rappeler que ça ne la mènerait à rien. rien. rien. rien. finalement tout finissait en un rien. les contraires étaient en fait très violemment ressemblant. tout et rien. et cette vérité aussi fouettait douloureusement.

apparemment, une molécule d'eau se baladait dans cette histoire de condensation qui, jusqu'ici, n'aidait en rien ester. cela ne devait pas correspondre avec son ester à elle, bien qu'elle soit carbonée par endroit. seulement, ester avait encore mille choses à dire et à tirer de ces trente-trois mots en plaquant son esprit inconscient par dessus.

l'eau, donc. ester buvait de l'eau comme tout le monde, sans surprise. elle aimait aussi la faire tempêter dans une bouteille quelconque en plastique, ressentir le choc doux de ses vagues contre ses doigts, entendre le clapotis sourd de toutes ces molécules libres dans leur prison d'encore différentes molécules ne leur laissant aucun échappatoire, pourtant. l'eau avait toujours été belle et métaphorique de tout aux yeux d'ester. ça voyageait depuis toujours aux quatre coins du monde sans aucun bagage, ça se salissait, se nettoyait, se transformait, se durcissait, montait au ciel en vapeur humide et dérangeante, se faisait nuage avant se se faire pluie, ça ruisselait sur les fenêtres, les montagnes, les joues. ça allait partout,  faisait bien plus qu'ester ne ferait jamais, demandait beaucoup plus d'attention qu'ester n'en receverait jamais, était bien plus utile et bien plus beau qu'elle. en fait, ça portait d'immenses et multiples responsabilités sur ses épaules coulantes et filantes de ruisseaux. la part de responsabilité qu'ester possédait ne représentait pas le centième de celles de l'eau. l'eau avait créé la vie, et elle retenait les hommes sur sa planète merveilleuse. ester ne créait qu'un nuage de déprime s'acharnant sur son créateur et ne retenait personne nulle part. pourtant, en parallèle de toute cette existence insignifiante, ester détenait tout des problèmes psychologiques. elle ne portait pas le poids du monde sur son dos, mais soutenait le poids de milliers de questions, de réponses asséchantes, de mots qui ne la rassasiaient jamais, de malheurs minusculement gigantesques, d'atroces griffures de coeur. ester se traînait hors de son lit jusqu'à cette flaque de boue de vie tous les matins et portait le poids d'une seule des milliards de vies que l'eau réconfortait. et ester souffrait des millions de fois plus que l'eau, et cela serait injustement le cas pour toujours. puisque l'eau ne serait toujours que glace, boisson, vapeur, et que la vie d'ester ne serait jusqu'à son extinction que crasse, poison et douleur.

ester était devenue affreusement jalouse de l'eau.

ester carboxyliqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant