poursuite,

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《 le verbe latin "ester" signifie poursuivre en justice (ester en justice). 》

un verbe ? était-il possible de n'être qu'une action ou un état ? ester était certes dans un sale état mais si là était son seul rôle...

ester n'était pas étrangère au latin. en plus d'être à elle même une minorité humaine, elle faisait partie de la minorité humaine étudiante en latin pour deux heures par semaine, deux insignifiantes heures dont le regret était réfléchi mais non abouti, deux toutes petites heures durant lesquelles l'attention d'ester somnolait, deux heures, le menton fixé à la paume, les yeux fixés à une craie menaçant de se briser au sol, les oreilles fixées aux lèvres d'un professeur parmi d'autres, et le coeur fixé à rome pour un voyage temporel express.

ester n'était pas contre tout cela. à vrai dire, au fond d'elle, elle était passionnée par toutes ces histoires peu croyables qui se mélangaient au fond de sa mémoire, dont on ne pouvait plus dire si elles relevaient d'un réel passé ou du mythe. elles étaient transcrites dans un language qui même traduit veillait à rester incompréhensible et remontaient à si longtemps que personne ne pouvait affirmer l'existence ou la simple imagination de ces légendes antiques. trop peu de choses existaient pour nous empêcher de rêver à l'existence de ce qui paraîtrait à ce siècle relever du délire, de la folie ou de la bêtise.

ester appréciait cette liberté de croire à l'impossible, à l'impensable, sans être jamais ramenée à un état de conviction que ce qui parle et s'envole dans le même temps ne peut être que le fruit d'une imagination passée. oui, ester aimait l'idée que le temps, aussi terrifiant soit-il, aussi angoissée la rendait-il, puisse ainsi tisser au dessus d'une légende une couverture qui rendait infirme de la connaissance de vérité. c'était mystérieux, venteux, et plaisant en tout point pour ester. et cela expliquait peut-être un peu pourquoi ester était capable de supporter cette minorité humaine supplémentaire.

le temps finissait par être autant fascinant qu'ennemi à ester.

poursuivre était un large concept qu'ester côtoyait à tous vents. elle ne cessait jamais de s'essouffler à poursuivre mille choses et ne cessait jamais d'accélérer le pas, hantée par la sensation d'être sans cesse poursuivie par le mal. et puis, quand elle plissait les yeux sur le monde dans sa grande immobilité, son grand silence, qui paraissait évident à ester, elle finissait toujours par s'effrayer de l'éternelle poursuite que tout représentait. le vent poursuivait les arbres. l'eau poursuivait les gorges. le feu poursuivait les larmes. la terre poursuivait son chemin infini encerclant l'immense feu qui lui faisait office de sens.

les humains aussi poursuivaient. ils poursuivaient toujours ce qu'ils n'attraperaient jamais, seulement car ils trouvaient cela joli que de s'amuser des impuissances qui se rêvaient trop, ils trouvaient cela joli que de penser se démarquer de toute leur population de piégés en aimant se nourrir d'espoir, espérant uniquement ce dont ils n'avaient pas même l'idée du goût.

mais étaient les humains encore plus proies que chasseurs de courses sans fin ? la seule certitude d'ester à ce sujet s'était formée de son expérience personnelle, une fois de plus, aussi infiniment piètre pouvait-elle être. cette expérience personnelle concernait ses poumons, ses bronches, sa trachée, ses lèvres, son essoufflement surtout. parce que sa course à elle était douloureuse à s'en arracher l'âme, bout par bout, pas à pas, giclant de souffrance sur le sol noirci de beaucoup de vies perdues. ester respirait plus difficilement avec le temps car sa course était constante ou croissante et surtout, ester ne s'arrêtait jamais, le temps ouvrait ses mâchoires de plus en plus grand et cherchait à l'engloutir. ester ne fuyait que le temps, mais était-ce alors une course-raccourci vers la mort ? elle n'aurait su le dire, elle n'aurait su arrêter de courir le temps, de courir les peurs, les angoisses, les pleurs que le temps plantait en elle quand il se trouvait trop proche. après quoi, ester accélérait et ses eaux pleurées coulaient de ses joues à la gueule du temps. c'était si douloureux, si entravant, comme si une main constituée de muscles uniquement s'était posée, étalée de sa poitrine à sa mâchoire lorsqu'elle avait pris conscience de son existence, lorsque que le mur blanc rivalisant avec la hauteur des étoiles s'était effondré, dévoilant pour la première fois à ester ce paysage de mort inspirant, de façon trop réelle pour que quiconque prétende ne pas y croire, la blessure de la vie, paysage plus gris que le plus sinistre des gris, à qui elle se confronterait tous les jours à la suite de celui-ci. comme si à cet instant un coup de feu avait retenti, hurlant que le temps était désormais grand tourment, même si tout allait l'être à partir de maintenant. et cette poigne qui contrôlait d'une dangereuse précision les respirations d'ester s'enfonçait un peu plus vers son coeur à chaque fois qu'elle tentait de s'en échapper en virant de bord, d'un coup, très vite, pour quelques secondes. à chaque fois, elle tentait de s'élancer à la poursuite d'une condamnation moins pénible à son corps, qui menaçait moins sa santé mentale. ça ne fonctionnait jamais.

car oui, finalement, dans l'esprit aplati d'ester, la vie n'était qu'infâme condamnation sans jugement, condamnation permanente durant laquelle on s'occupait à croire qu'il était simple d'y prendre plaisir, d'y trouver avantage, cela jusqu'à ce que rides, toux ou armes fassent cesser le supplice, le mensonge que l'on s'imposait tous.

on pouvait en déduire que la vie avait oublié d'attribuer un sens au mot "justice", qu'elle avait sans doute créé sur un coup de tête, ou un coup de rhum, qu'elle avait dû accrocher à tous les bâtiments d'espoir dans le but premier que ceux qui le prononceraient chuchoteraient sur la dernière syllabe, comme une sorte de respect imposé à un mot qui n'avait pas même de sens sur terre.

ester se désolait des erreurs commises par les créateurs du monde, du temps, de la réflexion humaine, de la vie, de la douleur qui était offerte avec. elle se désolait de ne plus savoir que choisir entre sombrer dans la colère ou dans une tristesse privée de répit lumineux. si la lumière, ou même le répit, n'avaient pas vu eux aussi leur existence sacrifiée par les créateurs.

ester carboxyliqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant