Je me souviens d'avoir plaqué ma main sur ma bouche et d'avoir lancé un long cri silencieux. J'ai tenté de sortir du bar en courant, mais la femme m'a agrippé le poignet et m'a immobilisé.
Je ne suis pas quelqu'un de violent. Tout d'abord parce que je suis petit et sans force, et que les rares combats faits dans mon enfance avec Astan ont toujours débouchés sur des défaites humiliantes, mais aussi parce que ce n'est pas dans mon tempérament.
Je pense qu'on obtient bien plus d'un adversaire en le manipulant qu'en lui tapant dessus (conseil de mon père que j'ai toujours gardé en mémoire).Mais le problème est que je n'ai aucun sang froid, et des nerfs très fragiles. Dans une situation désespérée, j'ai souvent tendance à paniquer et à faire n'importe quoi.
Et c'est exactement ce que j'ai fait.Je mords le poignet de la femme de toutes mes forces. Je tente de me dégager en la bourrant de coups de pieds, tout en gardant ma mâchoire serrée sur son poignet. Je sens le goût du sang dans ma bouche.
Elle me tord le poignet, je sens mon os se déplacer. La douleur me fais monter les larmes aux yeux.
Elle m'entraîne dans un recoin sombre du bar et me force à m'asseoir en face d'elle, sur une banquette miteuse et collante. Mon jean est bon pour la poubelle... Et la femme à l'air furieuse.
《-Non mais t'as vu ce que tu m'as fait ? Petit con !
- Vous avez pas le droit de m'insulter comme ça ! Vous m'avez kidnappé, emmené dans cet endroit dégoûtant, tout ça pour me montrer...
Je repense à cette vision d'horreur. Mon père, ivre, entouré des pires rebuts de la société, en train de draguer des filles qui pourraient être mes soeurs. Je fonds en larmes et m'écroule sur la table. Elle semble un peu plus compréhensive maintenant...- Je suis désolé de vous avoir mordue. C'est juste que...La voix dans ma tête, mon enlèvement, mon père, tout ça dans la même journée...j'en peux plus. Plus du tout.
- Je te pardonne, Yeren. C'est vrai que ça doit être horrible de vivre tout ça...Mais la fin justifie les moyens, et nous n'avions pas d'autres choix.
Elle semble curieusement au courant pour la voix, il faudra que je creuse la question. Plus tard.
- Mais qu'est ce que vous espérez de moi ?
- Je vais t'expliquer. Nous, la Congrégation de la Vérité, nous luttons contre la ségrégation qu'il y a entre les Meilleurs Êtres Humains (dont toi et ton père faites partie) et les autres. Vous avez les meilleurs postes dans l'administration, les meilleurs collèges, vous êtes immensément riches...Pendant que nous, on se traîne dans la boue. Tu ne trouves pas ça révoltant ?
Je réfléchis. Pour moi la réponse est évidente : non, ce n'est pas révoltant. Il y a toujours eu des inégalités, depuis la nuit des temps. Et il se trouve que moi, je suis du bon côté de la barrière : pourquoi je lutterais contre un système qui sert mes intérêts ?
Mais il est hors de question de lui dire ça, elle est en position de force sur moi et je ne peux pas appeler Père. Je préfère donc dévier la conversation.
- Comment vous appelez vous ?- Asphodèle. Écoute, je ne vais pas faire traîner davantage cette conversation : mon but est de te recruter. L'appui d'un Fall pourrait nous être très utile pour prendre le pouvoir...Et faire cesser cet ordre des choses. Tu es partant ?
- Absolument pas ! Non mais vous vous rendez compte ? D'accord, j'ai compris, mon monde n'est pas aussi beau que ce que je pensais, et il y a sans doute des milliers d'autres choses que je ne sais pas ! Mais ce n'est pas une raison pour rejoindre votre...Votre espèce de secte !
Elle serre son poignet blessé. J'ai l'impression qu'elle est prête à m'assassiner pour de bon.
- Fort bien. Dans ce cas tu vas te débrouiller seul pour rentrer dans ton petit palais du centre ville...Je crois que ton père est trop occupé pour t'aider : je l'ai vu rentrer dans une des chambres il y a quelques minutes...
Je réprime un haut le coeur. Asphodèle part, me laissant seul et abasourdi devant ma table crasseuse. Je ne connais pas ce quartier, c'est dangereux pour quelqu'un comme moi...Et mon bras me fait toujours un mal de chien.
Je me lève, je titube au centre de la pièce, et là je réalise que je me suis habitué à l'odeur du bar : je ne sens presque plus rien. Tant mieux. Une main se pose sur mon épaule, je me retourne.
《- Hé, beau gosse...Tu nous payerais pas un petit verre ?
Elles sont deux. Elles semblent un peu plus âgées que moi, mais pas de beaucoup : elles doivent avoir à peu près treize ans.
- Ah, désolé, je suis pas intéressé...Par contre je suis perdu ici, donc si vous voulez bien me servir de guides, je vous paye. Très cher.
Elles n'ont pas l'air convaincues.- C'est pas contre toi, hein... mais avant hier un client à proposé la même chose à une de nos collègues...
- Résultat on vient de retrouver son cadavre dans une ruelle pas loin !
- Donc tu vois, on doit penser à notre sécurité d'abord...
On m'avait parlé du phénomène des tueurs en série dans les quartiers pauvres. Cela dit, l'idée d'être confondu avec l'un d'entre eux m'étais insupportable.
- Mais enfin, vous voyez pas que j'ai onze ans et que je vous arrive à l'épaule ? En plus une fanatique viens de me péter le bras ! Je connais pas ce quartier, j'ai de l'argent sur moi, j'ai l'accent des quartiers riches, bref si demain on retrouve un cadavre dans une ruelle ce sera le mien ! Vous voulez pas m'aider, un peu ?
Elle parlent à voix basse. La première est blonde, avec des cheveux courts et bouclés. Elle a des yeux bleus très clairs, plein de taches de rousseur, un nez trop gros : je crois que c'est la première fois que je rencontre quelqu'un de mon âge qui ne fait pas partie des Meilleurs Êtres Humains. Elle n'a pas un beau visage. Je dois avouer que ça me perturbe un peu.
La seconde est brune, très grande, avec des traits fins. Elle serait sûrement très belle sans l'énorme cicatrice qui lui traverse le visage, de haut en bas.
Elles se retournent vers moi.- très bien, on t'emmène où tu veux. Ce sera 500 silvs chacune.
Je réprime un sourire. C'est le prix d'une canette de soda dans les quartiers du centre...Heureux de m'en tirer à si bon compte, je serre la main de la blonde.- Parfait, merci beaucoup ! Moi c'est Yeren, et vous ?
- Reyke. Et la brune à côté de moi, c'est Nell. Enchantées !
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Le tombeau des mensonges
Science FictionYeren fait la fierté de sa famille, l'une des plus puissantes du pays. Il a toujours été dans les dix premières places au Classement National des Meilleurs Êtres Humains, et tout le monde lui assure qu'il aura un avenir merveilleux. Mais peut on fer...