Je suis parti sans dire un mot à personne. Je me suis montré lâche, pour changer : je n'ai pas osé leur parler, je n'aurais pas su quoi dire et même si j'avais su, je n'aurais pas voulu dire quoi que ce soit. Rien que le fait de prononcer les mots "je vais mourir", c'est impossible pour moi.
Je suis incapable de l'admettre pleinement, ça n'a pas l'air vrai...Je me concentre sur mes sensations. L'herbe jaunie par la canicule qui craque sous mes baskets usées, le poids de mon sac à dos, la sueur qui coule entre mes omoplates et sous ma casquette, la légère douleur dans mes yeux que je suis obligé de plisser, mes cheveux collés à ma nuque par la transpiration.
Dans deux semaines, je ne serai plus capable de ressentir quoi que ce soit. Je ne crois pas à la vie après la mort, je pense simplement que dans deux semaines je n'existerai plus, et ça me terrifie. Je retourne cette idée dans ma tête, et certaines de mes pensées m'effraient : j'adore tous les membres du groupes, ce sont des vrais amis avec qui j'ai partagé des moments forts, mais j'en viens à penser que si c'était possible je les sacrifierais tous pour pouvoir vivre juste un mois supplémentaire. Ou même juste un jour.
C'est tellement injuste...Je ne mérite pas ça. Je ne suis pas comme les héros clichés dans les films, je ne peux pas accepter la mort comme une vieille amie et partir avec dignité. Moi, j'ai peur de mourir, je ne mourrai pas de manière charismatique dans un moment épique, je mourrai en appelant à l'aide, en hurlant et en me pissant dessus...
Ça y est, je pleure. Je m'en étais même pas rendu compte au début, mais je suis en train de sangloter bruyamment en pleine rue et tout le monde me regarde. Je cours vite sous un porche pour ne pas attirer davantage l'attention. Il faut que je me trouve un hôtel...J'ai besoin d'un endroit où habiter en attendant de prendre une décision.
Je ne suis pas assez courageux maintenant pour parler avec les autres mais il va bien falloir que ça arrive, ce serait vraiment nul de mourir sans rien leur avoir dit. Ils risquent de croire n'importe quoi...
Après avoir rassemblé des vêtements et tout mon argent liquide dans un sac à dos, je suis allé à la fenêtre, celle qui donne sur la cour intérieure avec la piscine. Ils étaient tous là, à discuter au soleil, assis sur le rebord de la piscine. Je leur ai dit au revoir dans ma tête, je suis descendu doucement dans le salon, j'ai ouvert la porte sans bruit, et je suis parti.
J'ai pris le scooter de Nell pour rejoindre les quartiers riches. Au départ je voulais l'abandonner avec les clés sur le contact, mais finalement je me suis dit qu'il pourrait être utile. Je ne vais pas rendre visite aux autres en prenant le bus...
Et depuis, je marche sans vraiment avoir de but précis. Enfin si, je cherche plus ou moins un hôtel, mais je fais surtout ça pour me rappeler de l'époque où je vivais ici. C'était mon quartier...Je sais que c'est dangereux de me balader comme ça alors que les gens me croient mort, mais j'ai une casquette et un masque respiratoire. Si on rajoute à ça mes cheveux qui tombent devant mes yeux, je suis impossible à reconnaître. J'ai pas mal changé depuis que je me suis enfui...J'ai bronzé, j'ai grandi, j'ai laissé pousser mes cheveux et je crois que j'ai pris un peu de muscles, même si c'est pas flagrant.
Il y a un hôtel de l'autre côté de la rue. Je traverse lentement, et je pousse la porte vitrée.
Apparemment, c'est un hôtel à thème aquatique...Les murs du hall sont en plexiglas transparent, ce qui permet d'observer les diverses espèces de poissons et d'algues qui évoluent tout autour de la pièce. Ça fera l'affaire...Je me dirige vers le bureau du réceptionniste, en forme de récif de corail.
- Bonjour, je voudrais rester ici pour deux semaines.
- Êtes vous accompagné d'un adulte ?
- Non, mais je peux payer le double si vous voulez. Ça restera entre nous.
- Non, je ne peux pas faire ça enfin !
- Vous connaissez le cartel Esposito ?
Je joue avec ma boucle d'oreille en forme d'araignée. Il me fait un sourire aimable.
- Bien sûr que je le connais, cet hôtel appartient au cartel Esposito. Avez vous des préférences pour votre suite ?
- Euh...Non, pas vraiment...
- Dans ce cas je vous propose la suite "requin", c'est une de nos plus demandées et elle est libre en ce moment.
- D'accord, si vous voulez...
- Donc, quatorze nuits dans la suite "requin"...Cela vous coûtera 3 192 000 silvs.
Je pose quelques billets sur le bureau. Il les recompte en fronçant les sourcils.
- Excusez moi jeune homme, vous m'avez donné 125 000 silvs de trop...Vous n'avez pas de monnaie ?
- C'est pour que vous ne me demandiez pas de pièce d'identité. Les membres du cartel font souvent ça, ne prenez pas cet air étonné...
- Bon, donnez moi au moins un nom à écrire sur le registre.
- Markus Volker.
- Très bien, bon séjour ! Me dit il en me donnant le pass magnétique en forme de requin.
Je prends l'ascenseur, ma suite se trouve au dix-neuvième étage. La porte coulisse doucement, et je me retrouve face à un immense aquarium. Une dizaine de petits requins pyjamas nagent tranquillement devant moi, dans un gigantesque rectangle de plexiglas qui fait office de mur. Je fais le tour, il y a des aquariums absolument partout, de toutes les formes, avec différents types de requins...Je me laisse tomber sur mon lit, un king size perdu tout au fond de l'enfilade de pièces. À ma gauche, une baie vitrée me permet d'avoir une vue panoramique des quartiers riches. En face de moi, dans un aquarium plus grand que tous les autres, un grand requin blanc tourne en rond.
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Le tombeau des mensonges
Science FictionYeren fait la fierté de sa famille, l'une des plus puissantes du pays. Il a toujours été dans les dix premières places au Classement National des Meilleurs Êtres Humains, et tout le monde lui assure qu'il aura un avenir merveilleux. Mais peut on fer...