Le sens de ma vie

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Les verres s'entrechoquent, l'alcool ruisselle sur mon menton. Tout le monde est joyeux, on chante, certes faux mais le coeur y est...On pourrait presque croire que tout va bien.

Après cette fameuse après midi au bar, les autres m'ont emmené me faire percer l'oreille. Ils riaient et plaisantaient sur le trajet, tout le monde s'efforçant d'éviter de penser à Alvin, et je rayonnais.
J'avais enfin trouvé une occupation, des gens pour qui je comptais (enfin, je comptais surtout pour Reyke et Nell, les autres se méfiaient d'un gosse recruté par Tristan) et un protecteur puissant (que je haïssais de toute mon âme, certes, mais puissant.)

J'ai fait le fier pendant tout le trajet, en me disant que ce n'était qu'un minuscule trou dans une minuscule oreille, en pensant que le chef du groupe ne devait pas flancher devant ses troupes, que j'avais vécu bien pire...
Mais quand j'ai vu l'aiguille, sorte de couteau ensanglanté très peu nettoyé et horriblement épais, qui était censé rentrer dans MON oreille, j'ai failli m'évanouir. J'ai également pensé à partir en courant là où personne ne me retrouverait...Des images atroces de plaies infectées et d'oreilles arrachées ont défilé dans mon esprit, tandis que mon bourreau me souriait de ses dents jaunes, en serrant dans sa main son horrible pic...

Je suis littéralement tombé sur un tabouret crasseux, en me mordant la lèvre inférieure de toutes mes forces en priant pour que ça soit au moins rapide...Il a approché l'outil. La pointe est sortie de mon champ de vision alors qu'il l'approchait de mon oreille, en souriant beaucoup trop...

Je me suis mordu le poignet jusqu'à y imprimer la marque de mes dents, j'ai serré mes poings dont les phalanges sont devenues blanches, j'ai contracté de toutes mes forces mon pauvre petit corps frêle, et je n'ai pas hurlé. Je n'ai même pas gémi un peu.

J'ai conservé un visage de glace, preuve d'une immense maîtrise de soi...Mais je n'ai pas pu empêcher deux petites larmes de rouler sur mes joues.

Maintenant les mois ont passé, les missions ont succédé aux missions, et notre groupe est devenu une des unités d'élite du cartel d'Esposito. J'ai presque grandi un tout petit peu (je mesure à présent 1m 45 ! Exploit !) Et je ne tarderais pas à fêter mon douzième anniversaire, qui viendra en décembre. La voix dans ma tête ne s'est pas manifestée depuis longtemps, et je me surprend à penser qu'elle me laissera définitivement tranquille.

L'été est fini, la police est l'armée ont fini par conclure que j'étais mort aux mains de la Congrégation de la Vérité (j'ai bien failli être repéré plusieurs fois, mais Tristan est très doué pour faire oublier aux gens certaines informations) et j'ai fini par gagner l'amitié et même le respect de mes coéquipiers.
Ils ont toujours respecté mon souhait de ne pas tuer directement les cibles. Mes amis ont toujours accepté de se charger de cela quand il le fallait, et même si il m'est arrivé certaines fois de presser le détonateur pour faire s'effondrer une maison toujours habitée, je n'ai pas vu leur regard avant de mourir. Voilà ce que je veux par dessus tout éviter.
Le souvenir d'Alvin a été souvent évoqué, mais les autres ont fini par se résigner à son absence, et à admettre que Tristan avait agi avant tout par professionnalisme, dans l'intérêt du cartel...Sauf Héka, qui refusait toujours de se joindre à nos discussions.

Et nous voilà tous là, dans ce bar, complètement ivres, excepté Héka qui, pour une raison inconnue, refuse de boire de l'alcool. Nell, Vaas et Ouran improvisent une danse étrange sur la table, Noah et Reyke s'embrassent sans gêne sur la banquette (dans mon état normal j'aurais sûrement détourné le regard en faisant semblant de vomir, mais je ne suis pas dans mon état normal, et je me contente de fixer tout ceci d'un regard bienveillant et légèrement flou) et moi je parle de choses et d'autres avec Héka. Mon doigt joue distraitement avec ma boucle d'oreille, ornée d'un énorme diamant au niveau de l'abdomen...Parce que je suis le chef, paraît il.

Nous sommes réunis ici car Tristan nous a parlé d'une mission plus importante que les autres, à tel point qu'il veut nous en parler face à face. Étant des gens sérieux, nous avons commencé à l'attendre dans le calme et le professionnalisme...Et puis l'heure du rendez vous est passée. Sans qu'il vienne. Ce qui était un léger retard s'est transformé petit à petit en une monstrueuse impolitesse...Et puis Vaas à proposé qu'on commande à boire. Et c'est là que c'est parti trop loin...

Je décide de chanter une nouvelle chanson. Tout le monde la connaît, ils chantent avec moi à gorge déployée...Quand j'entends un toussotement familier derrière moi. Reyke et Noah pâlissent et se séparent à toute vitesse, Reyke, Ouran et Vaas se laissent tomber sur la banquette et arrêtent de chanter...Je me retourne lentement, et un coup d'oeil vient confirmer mes pires intuitions.

- Excusez moi, une affaire m'a retenu. Mais l'attente n'a pas dû être trop longue, je vois que vous savez vous occuper...Puis je m'asseoir ?

Ma main tremblante saisit un siège et lui tend. Il me jette un "Merci" sarcastique et s'assoit. Après nous avoir tous regardés longuement, il se racle la gorge et commence :

- Alors, comme vous le savez déjà, la mission qui vous attend sera la plus importante que vous aurez jamais accomplie ensemble. En effet, elle vous amènera à affronter l'une des organisations les plus puissantes de ce  monde : la Congrégation de la Vérité...

Le tombeau des mensonges Où les histoires vivent. Découvrez maintenant