J'ose espérer que, pour commencer, il y aura des ratés. Un peu comme au début de l'edge-rank où l'on proposait aux femmes de soixante ans et plus des pubs ad-nauseam pour des tests de grossesse. Dans le cas des nouveaux assistants personnels, cela pourrait être des souvenirs fabriqués. Au moins, ça aurait le mérite de tirer la sonnette d'alarme avant que l'algorithme ne devienne trop efficace. Car le jour où l'algorithme deviendra efficace, cher.e.s ami.e.s, nous perdrons effectivement notre puissance d'individu. Nous deviendrons gérés par un algorithme, reposerons complètement sur lui, alors qu'il nous est inconnu, qu'il peut être modifié à mauvais escient, qu'il peut faire de nous, par exemple, des consommateurs avant d'être des êtres humains.
Extrait d'une conférence de Jérome Calvi, Docteur en psychologie sociale
*
Je me réveille, le regard absorbé par des lumières orange de lampadaire, mouvantes et semblables à des flocons de neige. La vitre fait la taille de la pièce. Je tourne la tête, distingue les contours d'une télé éteinte, accrochée à mur vert pistache, pas du meilleur état. Je suis donc allongée dans un lit d'hôpital.
— Gia ?
J'ignore pourquoi j'appelle Gia. L'avais-je vue pendant mon délire, ou avant, chez moi ? Où ma pensée était-elle désynchronisée, de sorte que je venais de l'apercevoir avant de comprendre qu'elle était là ?
Ma pauvre fille, tu débloques.
— Oui. Mathieu est là aussi.
— Salut, me dit Mathieu.
Ils sont tous les deux-là, assis sur des chaises, un gobelet de carton à la main. Il y a une troisième personne que je ne parviens pas à reconnaitre. Me voyant soucieuse, Gia murmure.
— C'est un visiteur pour la personne du lit d'à côté.
Je me sens bête.
Mathieu prétexte un truc à la con, me laisse seule avec Gia. Elle prend toutes les précautions, parle du boulot de Mathieu, du sien et d'un client — patient, me corrige-t-elle — qu'elle a eue et qui était incapable de se calmer. Un flot de paroles avec l'énergie enthousiaste qui la caractérise. Elle me demande comment je me sens puis me tend un bouquin, un roman sur des explorateurs du futur, un truc de science-fiction dont elle raffole et qu'elle me conseille. Et elle parvient, j'ignore comment, à me faire parler.
J'ai l'impression, au gré des mots, d'extirper du venin. Je sais qu'il en circule encore dans mes veines, mais moins, je crache du mal, le mal que je ressens. La douleur devient vive, mais j'imagine que c'est toujours le cas quand le poison pousse pour sortir de la plaie. Je termine à nouveau en larmes, alors elle réfléchit à sa réponse, elle pèse chaque mot. Elle me dit que non, je ne suis pas folle, que les autres, dont elle, peuvent me comprendre, que je traverse une épreuve, que je peux me reposer sur les autres. Elle ne me cache pas que ça sera difficile, qu'une partie de ma vie a été ébranlée, mais avec du travail, je peux en faire une force. Elle me galvanise comme un sergent un soldat.
Le lendemain, je repense encore à ses mots. Il me semble parvenir pendant quelques instants, enfin, à prendre le recul nécessaire, à ôter ma honte, ma peine et mes regrets de l'équation. J'observe froidement les événements. Tout a commencé avec Buddy. Buddy m'a montré les images de mon prétendu viol. Et Buddy a livré à la police les images de mon prétendu non-viol. Dans ce cas, si je ne peux plus faire confiance à Buddy, je dois me souvenir, par mes propres moyens. Je me concentre... J'essaie de ramasser dans les bris des images, des sons, des odeurs.
— Je me souviens qu'il m'a violée, dis-je.
— Ok. Ça expliquerait ça, me dit Gia en tendant son smartphone. Une discussion que les filles ont eue avec moi.

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Life is easy
Ciencia FicciónUne nouvelle dans l'esprit Black Mirror. Pas la plus hard, mais pas la plus légère non plus. Je préfère prévenir. Les retours sont bienvenus. Sarah, 21ans, retrouve un ami d'enfance lors d'une soirée dans un bar. Le lendemain, elle se réveille, ron...