Tu veux savoir ce qui est le plus impressionnant dans cette histoire ? La seconde fois où j'ai adressé la parole à Alexeï, depuis la scène du bus, c'est Alexeï lui-même qui est venu vers moi. Incroyable, n'est-ce pas ?
Cela faisait une semaine que ma routine de loup solitaire s'était installée.
En cours, une fois sur deux mon regard voguait à la rencontre d'Alexeï. À la pause de dix-heures, je passais en mode stalkeur et mon trajet suivait celui d'Alexeï. Et au plus les jours passaient, au plus Alexeï soutenait mon regard, intrigué, hein, pas méchamment. Je m'éclipsais cependant si une once de pitié s'immisçait au sein de ses mirettes globuleuses qui m'apparaissaient au travers des verres épais. Et enfin, sur le temps de midi, je m'exilais sur ce banc, tu sais, le long du chemin de terre.
Je vouais presque une obsession à l'égard d'Alexeï. Ce garçon me hantait. Sans cesse, je me demandais s'il avait toujours ce genre de pensées. Tu sais bien de quoi je parle.
Et alors que j'étais affalé sur ce fameux banc qui, depuis une semaine, était devenu mien, affalé telle une étoile de mer, cigarette en bouche façon Popeye et tête pendue en arrière – je me mets aux rhymes, beau gosse ou pas ? Bref, je disais qu'Alexeï était venu me voir ce midi-là. Je me rappelle même qu'avec la surprise de sa présence, un cri peu viril m'avait échappé, mais il n'est pas nécessaire de s'attarder là-dessus, ça reste légèrement gênant.
Tout en écrasant ce bon petit soldat de la mort, comme le dit si bien Johnny Quid dans Rocknrolla, je m'étais réinstallé convenablement. J'avais de même laissé échapper quelques petites toux mal à l'aise pour combler le silence.
Il était là, debout, face à moi, les mains dans les poches de sa doudounne noir, une écharpe en laine blanche autour du cou et j'en étais resté muet. Il me rendait poltron, le petit Alexeï. Mais pour ma défense, je n'étais pas le seul froussard, lui aussi m'avait paru angoissé par cette conversation. C'est pas une excuse, je sais.En tout cas, j'ai dit vrai au sujet de l'angoisse d'Alexeï. D'ailleurs, il n'avait même pas osé lever les yeux pour rencontrer les miens, quand il tendit sa main vers moi, non, il regardait sa main justement.
—Enchanté, je m'appelle Alexeï.
Surpris ? Ouais, je l'étais aussi. Agréablement surpris même. Il acceptait ainsi, si tu ne l'avais pas compris, que l'on reprenne tout à zéro. Quelle heureuse nouvelle. Mon sourire doucement grandissait jusqu'à en devenir dentelé.
Je n'avais pas attendu bien longtemps avant de lui serrer la main.
—Enchanté, moi, c'est Patrick.
La poignée de mains échangée, il s'était installé à côté de moi. Il jouait à nouveau avec ses doigts, c'était un tic qu'il avait et qu'il a toujours d'ailleurs. Un détail qui m'indique quand il est tourmenté.
Alexeï voulait probablement me dire quelque chose. Il regardait ses mains, je le regardais lui. J'avais fini par prendre la parole.
—Est-ce que ça veut dire que je suis pardonné ?
Sur le coup, il avait relevé la tête et nos regards s'étaient croisés. Alexeï avait simplement haussé les épaules, mais ses courts doigts rougis par le froid étaient alors immobiles.
—Hm, j'imagine, avait-il tout de même répondu.
—J'ai changé, tu sais...
Il avait hoché la tête, légèrement, juste de quoi me faire comprendre qu'il savait. Puis il s'était levé du banc.
—Il fait froid, on devrait rentrer.
C'était bien volontiers que je l'avais suivit le petit Alexeï.
Ah, ouais, merde hah ! Je viens de me rappeller que la barrière par dessus laquelle je sautais à chaque fois pour aller retrouver mon banc, bah en fait elle était pas verrouillée, non, elle était juste coulissante. Heureusement que je ne marchais pas devant Alexeï, j'aurais eu l'air malin à sauter par dessus alors qu'on pouvait l'ouvrir. Ah, mais quel boloss je fais, j'te jure.
Mais passons, c'était mon retour à la civilisation. Une semaine que je n'avais interagis qu'avec les feuilles mortes. Et mes parents aussi, tu vas me dire, certes, tu as raison, mais c'est moi qui raconte donc laisse-moi faire, merci.
Alexeï m'avait guidé jusqu'à une salle de classe où trônaient toutes sortes d'instruments de musique. Tu n'es pas con, tu as compris que c'était bien là qu'ils avaient cours, oui, de musique.
—Bah tiens, Alexeï ? Tu nous ramènes monsieur le stalkeur ?
La pièce n'abritait pas que des clarinettes, trompettes, saxophones, guitares acoustique et électrique, piano, batterie... Je vais pas te faire la liste au complet. Benjamin et Nancy s'y trouvaient aussi. Et c'est Benjamin qui avait ouvert la bouche précédemment.
—C'était si flagrant ?
Une petite question rhétorique que j'avais glissé pour me lancer dans une conversation. Comme quoi, je n'avais pas encore perdu mon talent d'as des rencontres sociales.
—Ouais, mais t'inquiète, vu qu't'es beau gosse, c'était pas glauque.
Benjamin avait un ricanement loufoque, et la plupart du temps son gloussement nous faisait plus rire que ses boutades.
—T'es con, avait soufflé Nancy.
—Quoi ?! C'est la dure réalité de ce monde superficiel. J'ai pas raison ?
—Il a raison.
J'avais répondu cela instinctivement. Benjamin était content.
—Ah, toi j't'aime bien.
—J'en connais un qui cherche à se faire un ami, s'était moqué Nancy.
Était ensuite entré le dernier membre de ma future bande d'amis : Lucille Cellier. Du genre grunge avec de long cheveux noirs et un piercing sur la langue, quelques taches de rousseur ainsi qu'une jolie paires d'yeux verts. Je la soupçonne d'avoir été rousse.
—My baby ! s'était écrié Nancy.
Tout en nous brisant les tympans avec sa voix criarde, elle s'était élancée sur la nouvelle venue en une série de petites foulées du haut de ses escarpins, tiraillant une seconde fois nos oreilles avec le tac-tac-tac de ses chaussures sur les dalle de la salle de classe. Plus qu'élancée sur Lucille, Nancy lui avait sauté au cou pour l'embrasser. Et pas juste la bise de politesse, non, un long baiser sur les lèvres.
—Elles sont- ?
—Ouaaais, m'avait répondu Benjamin tout sourire et avec deux, trois sauts de sourcils en accompagnement. Touchez-vous les seins, bordel !
Il n'avait reçu, en réponse, qu'un doigt levé – tu sais très bien lequel – de la part de Lucille.
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[NdA : J'aimerais savoir si un chapitre entre celui-ci et le précédent qui raconterait plus en details le mal-être et l'ennuie de Patrick après être resté seul tout ce temps, aurait été plus approprié. Ou bien si c'est suffisant ainsi. À plus, bye bye.]

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GROWTH [B×B]
Teen Fiction[boy's love] [fiction originale] Patrick Dutertre te raconte comment il est passé du sale type au mec bien ; de l'harceleur au lover. [Mon défi est de faire d'un cliché ridicule, une romance véritable. À vous de me dire, si c'est réussi.] Début_12 m...