Quatre.

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On se serait cru chez les scouts. Nous étions tous les trois, l'éducateur, Alexeï et moi-même, l'un derrière l'autre, dans cet ordre. À la queue leu-leu.

Tout le monde s'éclate, à la queue leu-leu.

Pas vraiment, non. Parce qu'aucun mot ne fut échangé, seul le son de nos pas désynchronisés résonnait dans le couloir désert ; les cours avaient commencé depuis un bon bout de temps.

Quel malaise, mon ami, je m'en rappelle très bien. J'avais essayé, en sortant du local des éducateurs, d'interpeller Alexeï. Pour le rassurer, tu vois ? Lui faire comprendre que jamais plus ce ne sera comme avant, ce qui est véridique.

Il m'avait carrément ignoré, mais royalement quoi. Pas même un regard, au contraire, il m'avait tourné le dos, c'est pour dire.

Et alors qu'habituellement j'aurais été outré, sur le coup, j'ai ressenti un pincement de déception au niveau de mon petit coeur de fragile. Après, bon, je ne lui en voulais pas, je comprenais et je suis certain que tu comprends, toi aussi, la réaction qu'avait eu Alexeï.

Voilà pourquoi ce fut avec une moue de déterré que j'étais entré dans ma nouvelle classe. Nous avions été affectés à la terminale L de ce lycée. Hum, "affecté" ça fait un peu prison, non ? Oui, c'est bien ce que je pensais. Je reprends : nous avions été introduits... Ouais, nan, ce n'est pas beaucoup mieux. De toute façon, tu m'as compris : Alexeï et moi, en terminal L.

Lui s'était installé à côté d'une petite blonde à la tignasse bouclée et aux lunettes aussi épaisses que les siennes. Moi, de mon côté, j'avais choisi l'unique bureau vide au fond près de la porte.

Alexeï avait donc préféré choisir de s'asseoir à côté d'une inconnue plutôt que de s'asseoir à côté de moi. Ah, la solitude. C'était mérité, je le reconnais. Et cette solitude, elle ne m'aura pas quitté pendant près d'une semaine ensuite, mais n'avançons pas trop vite.

Tu as sûrement déjà oublié le coquard que j'avais à l'œil, et bien, mes camarades de classe, eux, s'en sont souvenu longtemps après mon arrivé. Rien que le premier jour couraient toutes sortes de rumeurs. Et leurs regards, leurs murmures quand j'étais entré, bon sang, ce n'est pas le genre d'attention que l'on souhaite.

Tu te rappelles, par contre, de cette étiquette de brute ? On me l'avait, dès lors, collée au front. Super. Ça, pour un renouveau, c'en était un, radical même. Limite, je me serais cru dans un univers parallèle. Si ce devait être le cas, j'espérais au moins qu'Alexeï devienne populaire. Ça n'est pas arrivé, je te le dis déjà. Par contre, je peux te dire qu'un soulagement immense m'avait balayé quand, à la recrée de dix heures, d'autres élèves étaient venus à la rencontre d'Alexeï.

Tiens, maintenant que j'y pense, ce devait être la première fois que je m'étais inquiété pour un autre être que ma petite personne. Tu me diras : vraiment ? Personne d'autre ? Bah oui, écoute, je suis fils unique, j'ai même pas de chien, et mes potes, enfin, ceux de mon ancien lycée, étaient le genre d'amis avec qui, tu sais ? tu interagis en cours et en soirée, mais qui, au fond, ne te connaissent pas vraiment.

Tous ces détails, ces secrets qui font de moi une personne à part entière, enfuis dans mon jardin secret, et bien, il n'y en a pas un seul, parmi eux, qui a tenté de les déterrer.

Mais soit, où est-ce que j'en étais... Ah oui. Dès le premier jour, Alexeï s'était fait des amis, alors que moi, niet, nada, que dalle.

La raison était que notre nouveau professeur titulaire nous avait demandé à tous les deux, avant de reprendre le cours, de leur expliquer pourquoi nous avions choisi ce lycée. Alexeï avait répondu qu'il avait choisi cette école pour les cours de musique proposés par l'établissement et que forcément ça l'évitait de devoir trouver un prof de musique ailleurs. Alors que moi, j'avais répondu un truc du genre : «C'est le seul lycée qui m'ait accepté.» Pas très attrayant.

Lorsque les cours de musique furent mentionnés par Alexeï, deux personnes étaient intervenues. Deux lycéens dont une lycéenne : Benjamin Astier, un grand asiatique façon boys band coréen et Nancy Grignard, une franco-américaine noir de peau, élancée et surmontée d'une mini coupe afro, une pure belle gosse.

Benjamin avait crié «Wouh !» et Nancy «Nice!» pour acclamer Alexeï qui, tu l'as deviné, allait les rejoindre pour suivre les cours de musique.

J'étais heureux pour lui, sincèrement. Le voir sourire timidement face aux deux énergumènes excentriques me réconfortait.

Comme je ne savais trop quoi faire, ni où aller, vu que personne n'osait m'aborder, j'avais fini par discrètement suivre Alexeï et ses nouveaux amis.

Perdu. C'était le mot. J'étais comme invisible mais à la fois tout le monde me remarquait. Qu'est-ce que je n'aimais pas ça, être jugé, ça m'énervait. J'ai d'ailleurs fini par abandonné mon rôle d'espion pour sortir me trouver un coin tranquille sur le temps de midi.

Il y avait un chemin de terre derrière l'établissement, qui menait sur un petit parc. Après avoir sauté par dessus la grande barrière close, je m'étais installé sur un banc à l'écart et m'étais mis à cloper paisiblement. À tous les coup, on m'avait repéré et c'est ce qui a certifié mon titre de brute.

Je peux te dire, mon gars, que passer cinquante minutes seul, c'est long. Surtout qu'on était en novembre, si je me rappelle bien, il faisait déjà fort frisquet.

Par contre, en fin de journée, après les cours, j'avais fait une découverte très intéressante. Alexeï et moi prenions le même bus pour rentrer chez nous.

Ce fut l'occasion rêvée. J'avais alors pris mes couilles en mains et l'avais accosté. Pour tout te dire, jamais mon coeur n'avait encore cogné aussi fort. Petit spoil mais ce n'est pas la dernière fois qu'Alexeï me mettra dans cet état.

En parlant de lui, il m'avait repéré avant que je ne l'atteigne dans le bus. J'avais accéléré le pas en notant qu'il cherchait ses écouteurs.

Il s'en était fallu de peu. À peine m'étais-je assis à côté de lui qu'il avait déjà un écouteur dans l'oreille. Je n'ai eu d'autre choix que de l'empêcher de mettre le second écouteur.

—Laisse-moi au moins m'excuser convenablement.

Il avait retiré le premier écouteur. J'étais installé en oblique de manière à lui faire face un maximum, pourtant, pas une seule fois Alexeï ne m'avait regarder dans les yeux. J'étais déjà chanceux qu'il m'écoute alors je n'allais pas m'en plaindre.

—Je suis vraiment désolé. Pour tout. Tu n'imagines pas comme je regrette... Si ça ne tenait qu'à moi, je remonterais le temps pour tout recommencer.

Je m'étais tut un instant pour ravaler l'angoisse qui tirait sur mes cordes vocales. Alexeï, lui, jouait avec ses doigts, mal à l'aise probablement. Mon ton devint alors plus doux et plus sincère encore.

—Ce ne sera plus jamais comme avant, je te le promets...

GROWTH [B×B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant