Sept.

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C'est fou comme, caché derrière un écran, une personne peut vous apparaître complètement différente. Une sorte de proximité numérique qui brise les barrières sociales que l'on s'impose en face à face.

J'avais ainsi découvert un nouveau Alexeï cette soirée-là, je dirais même cette nuit-là. Un Alexeï pas aussi bavard que je ne l'aurais espéré mais à la repartie garnie de punch-line à se bidonner seul dans son lit. Je te donne un exemple : en réponse à son «Patrick?», je lui avais renvoyé «Mais qui est donc Patrick?» et tu sais ce qu'il m'a répondu, hein ? «Un imbécile avec des jambes de poulet.» qu'il avait répondu. Mais mec ! J'étais mort ! Il faut que tu saches que j'ai les jambes légèrement arquées vers l'extérieur. Mais mec ! Des jambes de poulet ! Je me rappelle avoir ri si fort que le chien, deux appartements plus haut, avait aboyé.

Après, j'avoue, je suis bon public, il ne me faut pas grand chose pour avoir la gueule grande ouverte, à me taper la cuisse. Un vrai phoque.

C'est donc dans cette ambiance-là, qu'avec Alexeï, on avait passé quelques heures à discuter jusque tard dans la nuit. Je n'avais plus dormi aussi paisiblement depuis la révélation et ce ne fut que le lendemain que je m'étais rendu compte qu'à aucun moment, l'un de nous n'avait mentionné notre passé commun. Quel soulagement, tu n'imagines même pas.

J'avais néanmoins appris de nombreuses informations au sujet d'Alexeï. J'avais appris, entre autres, qu'il vivait, et qu'il vit encore d'ailleurs, avec sa mère et son grand frère, et que le père, lui, est resté en Russie ; qu'il rêve de composer des musiques pour des films et qu'il est fan du compositeur de la bande-son de Narnia, j'ai pas retenu son nom, je dois te l'avouer. Il aime me dire que j'ai une mémoire de flétan. Oui, par "il", j'entends bien évidemment Alexeï, tu l'avais compris, mais on sait jamais. 

Tu dois sûrement te dire qu'à partir de là, la vie est belle pour moi. Ah... Si seulement. Personne ne change aussi facilement, pas même moi. Et non. Bien longtemps encore après la révélation, je commettais toujours certaines de mes erreurs du passé. Certaines habitudes ne m'avaient pas lâché, agglutinées à moi comme des sangsues. Ce besoin d'attirer l'attention, de faire rire au détriment d'autrui, parfois même de ceux qui comptent pour moi. Tu l'as deviné je parle à nouveau d'Alexeï.

La première fois où l'une de mes mauvaises habitudes avait à nouveau montré le bout de son nez, c'était retombé sur, je viens de le dire, sur Alexeï. 

C'était un vendredi, les cours venaient de se terminer et la nuit tombait rapidement. Benjamin nous avait proposé de passer la soirée chez lui en compagnie de quelques bouteilles de gnôles. On avait quasi tous accepté sans attendre. Nancy s'était d'ailleurs précipitée hors de la salle de classe à la poursuite de Lucille qui avait cours à l'étage du dessous. Tu te doutes bien que seul Alexeï avait hésité.

―Euh... Il faut que je demande à ma mère d'abord.

J'avais alors ri moqueusement. Ah, mec, j'ai honte rien que d'en reparler. Je n'avais pas seulement ri, je m'étais aussi exprimé malicieusement. 

―Quoi ? T'as dix ans ou- arh !

Et là, on dit merci à Benjamin. Son coude dans mes côtes, suivit de son regard voilé de mépris et je ne disais plus un mot. Benjamin avait alors pris la parole accompagné d'un sourire amical à l'intention d'Alexeï.

―Va l'appeler, on t'attend ici.

Alexeï fit comme convié et était sorti de la salle de classe, s'isolant dans le corridor vide.

—Écoute, Patrick.

Oh comme j'étais mal, je n'avais encore jamais eu affaire à un Benjamin aussi sérieux et si froid, pire que ça, c'était devenu un vrai congelo sans les cornets de glace à l'intérieur.

—Si tu commences à te foutre de nous, on va pas t'apprécier bien longtemps. (Aucune réponse de ma part, j'étais statufié.) Tu allais te moquer d'Alexeï à l'instant, nan ? Ça ne nous fait pas rire. Putain, mec, t'as pas remarqué qu'on est le groupe des exclus ? Une black lesbienne, sa copine gothique, un russe binoclard et un asiat'. La remarque que tu allais lui faire, c'est le genre de remarque qui nous hante depuis qu'on est gosse. 

―Je voulais pas... 

―Ouais, bah, tu ferais mieux d'apprendre à te contrôler si tu veux pas qu'on te dégage.

―Apprends-moi. Aide-moi.

―T'es en train de me demander de t'apprendre à devenir une personne respectable ? Tu m'as pris pour ton daron ?

―Yes, daddy.

Là, il y eu un silence. Benjamin avait alors détourné le regard, ne pouvant s'empêcher de rire.

―Putain, t'es trop con. Bien, dans ce cas, se moquer d'une personne pour en faire rire une autre, ça ne se fait pas. Et tu peux pas reprocher à Alexeï d'avoir besoin de sa mère. Putain, on est encore au lycée, mec, on est pas des adultes. Puis, on a pas tous des parents aussi cool que les tiens, qui nous laissent faire ce qu'on veut, et vu ce que ça a donné, je sais pas si c'est une si bonne chose.

―Hmpf, ça pique, mais c'est mérité.

―T'en fais pas fiston, je vais faire de toi, le meilleur des hommes.

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[NdA: dites moi ce que vous en pensez.
Bye bye.]

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 08, 2018 ⏰

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