Trois.

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Une fois que l'on m'ait ouvert les yeux, je ne pouvais plus faire marche arrière. La culpabilité me rongeait. Mon monde s'était renversé. Je n'avais plus aucun repère. C'en était presque effrayant. Plus rien n'allait être comme avant.

Une folle anxiété s'était installée confortablement dans ma poitrine. Le genre de locataire qui ne vous laisse pas dormir la nuit et qui peut surgir à tout moment.

J'étais resté chez moi les deux jours suivant cette nuit de cauchemar, à me morfondre et m'insulter. Et la semaine qui suivit, n'en parlons même pas. Je ne vais pas entrer dans les détails mais ce fut les pires moments de ma vie, jusqu'à ce que je ne change d'établissement. Parce que, oui, il y eu un incident et je n'ai eu d'autre choix que de changer de lycée.

Au final, c'était peut-être mieux ainsi. Nouveau lycée, nouvelle réputation. Je regrettais tout de même de ne pas mettre excusé auprès d'Alexeï. Et ce n'est pas faute d'avoir essayé. Mais rien à faire, l'occasion ne s'est jamais présentée, il n'avait même pas facebook. Après, j'avoue, je ne vais pas te mentir, j'avais la trouille de lui faire face, du coup, ça n'a pas aidé.

Mais bon, j'allais pouvoir tout reprendre à zéro.

Voilà pourquoi j'étais installé, dos courbé, sur une chaise face au bureau de mon nouveau proviseur. Il m'avait déjà fait son petit sermon et ma mère était rentrée chez nous, je ne savais trop pourquoi j'étais encore là, assis face au proviseur, et non dans ma nouvelle classe.

—On attend un second nouvel élève, avait dit le quarantenaire d'un ton monotone.

Un vrai médium. Il était occupé à feuilleté le dossier fourni par mon ancien lycée. Sur son bureau, reposait le dossier du second élève.

J'étais donc en quelque sorte heureux d'avoir changé de lycée, tu l'as bien compris. Ouais, enfin, ça, c'était jusqu'à ce que découvre que le second nouvel élève n'était autre que Alexeï lui-même.

Putain de Karma. Ta gueule, on dit : merci, Karma.

Mais c'est que ça part en schizophrénie c't'histoire-là.

Mais soit ! Je m'égare. Il était là, à l'entrée, je m'étais retourné et on se toisait l'un l'autre d'un air identique. Stupéfait. En fait, non, il avait un air encore plus surpris que le mien parce que, oui, tu ne le vois pas, mais j'avais un coquard à l'œil droit.

—Enchanté, Alexeï.

Le proviseur s'était levé pour aller serrer la pince au nouveau venu. Il invita ensuite Alexeï à s'asseoir à côté de moi. Je peux te dire, mon gars, que je n'ai jamais été aussi correctement assis sur une chaise, assis tout court même.

Dos redressé, droit comme un piquet, les genoux collés, les mains sur les cuisses et le regard porté droit devant moi. Un vrai petit soldat.

Il y eut un échange entre le proviseur et Alexeï, je n'étais pas très attentif, j'essayais de ralentir le marathon effréné au sein de mon poitrail. En gros, ça parlait d'un papier qu'Alexeï avait rendu à la secrétaire sauf que le proviseur en avait besoin.

Quand le quarantenaire quitta la pièce pour aller chercher le fameux papier, j'avais presque eu envie de le supplier de revenir et de ne pas me laisser seul avec lui.

À plusieurs reprises, j'avais dégluti, puis toussé, puis à nouveau dégluti. Et j'ai fini par lui demander :

—Pourquoi tu as changé de lycée ?

Sa réponse fut immédiate.

—À cause de toi.

Ouille, oui, ça pique. Tu sais ce que j'ai fait ? J'ai dégluti, exacte. Par contre, je ne m'attendais pas à ce qu'il me retourne la question. Il était si froid. Arh, je n'aimais pas ça.

—Et toi, pourquoi tu as changé ?

—À cause de toi.

Son visage avait pivoté à vive allure pour me regarder, saisi par ma réponse. Je l'étais aussi, c'était comme sorti tout seul, une réponse aussi évidente que la sienne. Il n'eut pas le temps de m'en demander plus que le proviseur nous rejoignait, et qu'est-ce que j'en fus soulagé, bon sang. Je n'étais pas prêt, à ce moment-là, à m'expliquer et lui faire face pour de vrai.

La suite ne fut pas fort intéressante. Très rapidement, le proviseur nous avait informé que tous les deux, Alexeï et moi-même, avions choisi les mêmes options et que, à la suite de quoi, on allait finir dans la même classe. Dans ma tête, j'avais déjà sauté d'une falaise. Il nous avait ensuite refilé notre horaire et ramené chez l'éducateur.

Avant de nous laisser sous la tutelle de l'éducateur, jeune et sympa, le proviseur m'avait interpellé une dernière fois.

—Et Patrick, tu n'auras pas de troisième chance, ne l'oublie pas.

J'avais hoché la tête tout simplement, quelque peu gêné tout de même en sentant son regard se poser sur moi. De là à rougir, non, mais déglutir, oui, encore. Ah mais, ce jour-là, je peux te dire qu'elle en a bavé ma pomme d'Adam.

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[NdA : comme d'hab' hein, dites moi ce que vous en pensez. À plus.]


GROWTH [B×B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant