La salle de retenue était différente des autres classes. Ses murs étaient gris et sans fenêtre. Au plafond, des néons blafards venaient compléter l'atmosphère glaciale qui y régnait.
L'Examinateur chargé de surveiller les punis affichait une mine fatiguée. Il marcha lentement jusqu'à son bureau, prit le temps de s'asseoir puis regarda les Déséquilibrés assis devant lui. Tous le dévisageaient, perplexes. À première vue, il n'était pas vraiment le stéréotype du surveillant sévère, à cheval sur la discipline.
- Il est où, le mec de d'habitude ? demanda un garçon que 712 reconnu comme étant l'un de ceux qui martyrisaient Orage.
Il constata alors que tout le trio de harceleurs était présent.
- Je le remplace pour aujourd'hui, déclara leur geôlier.
L'homme sortit d'un sac un bocal contenant une grosse mouche qui se cognait à répétition contre les parois en verre. 712 songea que les Examinateurs étaient des gens contradictoires : eux qui prônaient la protection des animaux...
- Je vous préviens, je veux entendre ma mouche voler.
Il ouvrit le récipient et l'insecte s'échappa immédiatement, pressé de retrouver l'air frais. Il est sérieux, là ? pensa 712.
Les minutes passèrent et le bourdonnement désagréable de l'animal devenait de plus en plus agaçant.
Clac.
La main sur un mur, un Déséquilibré s'était levé pour écrabouiller l'innocente bestiole qui cependant avait réussi à s'échapper de justesse.
- Toi ! cria le surveillant.
Tout se passa très vite. Il se leva, agrippa le col du garçon et le secoua comme un prunier.
- Comment oses-tu ? Tu veux aller en Isolement, c'est ça ?!
Le Déséquilibré se défit violement de son emprise et lui mit une droite. La trio "anti-Orage" se joignit à la bagarre et bientôt l'Examinateur perdit connaissance.
712 contempla la scène avec effroi. Ils sont c*ns ou quoi ? On va se faire expulser !
Une des brutes se tourna vers lui.
- Qu'est-ce t'as à nous r'garder ainsi ?
- C'était vraiment idiot, même venant de vous.
Il y eut un silence durant lequel le vrombissement de la mouche se fit entendre.
- Répète un peu, défia le plus grand du trio en faisant craquer ses doigts.
- Ouais, vas-y, Noise ! Règle-lui son compte, s'exclama un autre.
712 reprit d'une voix modulée :
- S'en prendre à un Examinateur, c'est risquer l'expulsion.
- Ah ouais, ça me revient ! T'es le pote à l'autre p'tite merde ? Enfin, l'ex-pote puisqu'il t'a massacré, l'autre jour.
712 ne répondit pas. Il s'avança pour voir le corps du surveillant qui gisait parterre, la tête en sang.
- Il faut appeler les infirmiers, dit-il.
- Nan, ce qu'il faut, c'est se tirer d'ici.
- Pour quoi faire ? Les Examinateurs savent qui était en retenue aujourd'hui. Vous ne pouvez pas mettre ça sur le dos de quelqu'un d'autre.
- Ah non ?
Une lueur sadique apparu dans les yeux du dénommé Noise.
- Personne à part toi n'a été témoin.
- Personne, sauf le surveillant.
- Le surveillant est dans les vapes. S'il se réveillait, il serait probablement trop sonné pour se rappeler des détails.
Les brutes s'approchèrent de 712 qui recula instinctivement de quelques pas.
- A ton avis, qui croiraient-ils ? Un Nouveau-Né qui a déjà eu une bagarre ou plusieurs personnes qui affirment avoir vu la même scène ? (Il singea l'innocence et pris une voix suraiguë :) 712 a pété les plombs et s'est mis à frapper le surveillant. Il n'a pas supporté la retenue. On a essayé de l'arrêté, mais il est devenu si agressif...
Les autres acquiescèrent, la même joie malsaine sur le visage.
- Si jamais vous osez... commença 712.
- Quoi ? (Noise ricana) Tu crois que tu peux te barrer ? Que tu peux nous échapper ? Ne fais pas le malin avec moi, nourrisson.
712 serra la mâchoire. Il se sentait coincé.
Un de ses persécuteurs lui attrapa les bras et les lui tordit dans le dos.
- On a maîtrisé le thug, gloussa-t-il. Et si on lui barbouillait les poings de sang, pour que ça paraisse plus crédible ?
- Ouais, bonne idée, approuva Noise. Et n'oubliez pas de vous débarrasser du vôtre, ajouta-t-il en essuyant ses mains ensanglantées sur le pull de 712.
Celui-ci lui lança un regard noir.
Deux garçons sortirent et, quelques minutes plus tard, des Examinateurs firent irruption dans la pièce.
- Passe le bonjour à Orage de ma part, looser, chuchota Noise à l'oreille de 712.
*
Alors qu'on lui faisait parcourir un dédale de couloirs sombres, 712 fixait les menottes qui encerclaient ses poignets. Jamais il n'avait ressenti autant de rage pour quelqu'un que pour Noise.
Les Examinateurs qui l'accompagnaient s'arrêtèrent devant une petite porte massive. L'un d'eux approcha son œil d'un scanner rétinien encastré dans le mur.
- Accès autorisé, annonça une voix robotique.
La porte s'ouvrit dans un grincement sinistre.
- Entre et médite sur tes méfaits, ordonna-t-il.
- Je suis innocent.
- Les Déséquilibrés ne sont jamais innocents, 712.
La porte se referma, laissant l'adolescent dans la pénombre. La pièce lui sembla minuscule. Elle était meublée d'un lit, d'une toilette et d'un évier. Le garçon frissonna. Ce qu'il fait froid, ici !
712 s'assit sur la couchette, essayant de focaliser son attention sur autre chose que sa colère. Cela faisait une bonne demi-heure qu'il ruminait quand, tout à coup, une douleur fulgurante lui fendit le crâne. Il songea à prendre un antidouleur puis pesta en se rappelant qu'il avait laissé sa boîte dans sa chambre.
Sa souffrance devenait plus vive à chaque seconde. Ses oreilles sifflaient et il avait envie de vomir. Il retint ses gémissements, restant persuadé qu'il ne devait pas alarmer les Examinateurs. Il tomba sur le côté, en position fœtale. Les ténèbres de sa tête l'appelaient et, bientôt, il ne put plus les retenir.
*
712 considérait un plafond qui lui était inconnu, ses yeux refusant de lui obéir et de regarder ailleurs. Pourtant, aussi étrange que cela puisse paraître, il se sentait bien. L'endroit était éclairé d'une lumière ocre tandis que, dans l'air, flottait une exquise odeur de nourriture. Cependant, le plus plaisant n'était pas ce qu'il voyait ou humait, mais ce qu'il entendait. Quelqu'un fredonnait un air doux et joyeux.
Subitement, une voix féminine coupa la mélodie :
- Va prévenir ton frère qu'on mange.
Enfin, le corps de 712 se redressa et il scruta avidement les lieux. On dirait un salon, mais c'est différent des bâtiments du Programme, analysa-t-il. C'est plus chaleureux et... encombré.
Des bruits de pas s'approchaient et la tête du garçon se tourna vers l'entrebâillement d'une porte.
Qu'est-ce que ?...
Ce qu'il vit lui glaça le sang.
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L'Équilibre [TERMINÉ]
Ciencia FicciónDans ce qui ressemble à un internat, des adolescents participent à un programme visant à les rendre meilleurs. Chaque semaine, ils montent sur un " Comportomètre", une machine donnant leurs défauts et leurs qualités en pourcentages. Si leurs défauts...