J'écluse encore quelques verres de rhum et au cinquième, je me sens assez vaillant pour affronter les bas-fonds du quartier. A 22 heures, je pense qu'elles viennent juste de se mettre en service. Je me douche, un minimum d'hygiène s'impose, par respect. Je mets une belle chemise bleu clair, me parfume et me rase. Je me répète trois fois devant le miroir que je ne suis pas un immonde salopard, même si ma queue ne cesse de me rappeler que c'est pour notre bien. Pour le bien commun même. Qui sait de quelles atrocités est capable un homme aussi refréné ? L' Histoire l'a montré maintes et maintes fois ; la frustration sexuelle n'apporte rien de bon. Ces femmes sont d'utilité publique, un sacrifice cathartique.
Je me retrouve dans la rue, à avancer sans vraiment savoir où chercher. Près de la bouche de métro se trouve une longue avenue horizontale qui traverse tout le quartier jusqu'à Pereire Levallois. C'est là que j'erre une bonne vingtaine de minutes, en marchant lentement et reconsidérant la question de ce que je foutais ici à plusieurs reprises. À ce moment-là, on se demande comment on en ait arrivé là, à quel moment ça a merdé. Personne ne s'imagine lorsqu'il fantasme sa vie sexuelle que les rapports tarifés en feront partis. Ça touche l'ego même de l'homme. Comment ? Payer pour baiser ? Moi ? Jamais ! Le seul payement que je verse, c'est mon foutre sur ta tête, connasse ! Foutaises, conneries, entre la prostitution et la séduction, il n'y a qu'un pas. Toutes les relations humaines se monnayent, on trouve une fille sympa, on lui paye un verre, ou deux, ou quatre, on tente de lui voler un baiser, si ça marche, on l'invite au restaurant, menu à sa guise et alcool exorbitant, toujours l'alcool, on est bien trop constipé émotionnellement pour supporter le coup d'une franchise pure, de se mettre à nu avant l'heure, puis après, rebelote, un verre chez moi ? Et là, jackpot. Mais la plupart du temps, c'est une dépense d'argent inutile qui n'aboutit à rien d'autre que de se masturber frénétiquement en rentrant chez soi. Au moins avec une pute, l'honnêteté est de mise : je veux être en toi, ne perdons pas notre temps en jeux futiles, je me fous de qui tu es, de ce dont tu rêves, si tu préfères le chocolat à la vanille, ton intérieur rosée, chaud et trempée est tout ce qui m'intéresse, voilà l'argent. C'est fou ce que l'on peut se dire pour se convaincre de la bonté de nôtre âme et de nos actes.
J'erre donc sur cette rue, que je parcours de long en large, par de multiples aller-retours, de pauses clopes et de contemplations. Ne croyez pas que je sois aveugle, je les ai trouvés depuis un moment. Plusieurs groupes même, quatre et entre deux et cinq travailleuses chacun. J'hésite seulement, je crois même que je rougis et il faut à tout prix m'éviter cet embarras. J'aurais l'air bien con, tout rouge, bégayant et fixant mes chaussures devant elles ou pire, leur maquereau. Parce qu'il est pas loin, on l'aperçoit glissant entre ses employées puis retourner s'asseoir sur son banc à quelques mètres d'elles, vautour superviseur qui n'en branle pas une, sauf la sienne, littéralement et discrètement, la main dans le caleçon.
Mes aller-venues finissent par attirer l'attention et les belles de la nuit commencent à observer ce jeune homme qui les fixe nerveusement depuis une bonne demi-heure. Je m'approche d'un groupe, avec trois Noires et deux Blanches. Elles fument toutes, hilares aux anecdotes que l'une raconte aux autres. Aux mimiques faites, j'imagine qu'il s'agit de la virilité courte et molle d'un récent client. Ça n'arrange pas mon souci de performance. Une mama m'aborde, grosse et pulpeuse, chaînes en or contreplaqué, bagues serties de pierres ternes, robe mauve moulante déclamant des rondins de graisses autour des hanches.
- Hé, coucou mon cheri, qu'est-ce que tu veux ?
J'avoue ne pas le savoir encore mais son aisance, sa rondeur familière, son sourire chaleureux, le ton doux et coulant de sa voix m'apaise. Je me laisse aller à des divagations où je tète ces énormes mamelles, les pétrit de mes mains, où je m'enfonce à l'intérieur de sa chair dense et touffue que je pilonne comme si ma vie dépendait du contraste de mon sperme sur sa peau noire, de mon jus de garçon sur ce ventre fécond de nombreuses vies avant de m'endormir sur un tas de peau et de gras où ma tête trouverait l'inclinaison parfaite, sur son épaule, près du sein, près du cœur.
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Le Lait et le Sang
Fiction généraleQue celui qui oserait parcourir d'un œil ravi mais coupable ce texte, celui qui, après maints et maints doutes, succomberait à la tentation du sensationnel et de la lubricité, n'y voit pas là l'œuvre d'un pornographe qui se servirait de sa plume com...