"Je ne pensais pas que ça pouvait aller aussi loin"

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Une nouvelle journée commence, et toujours la même. Je suis dans mon bus direction mon lycée Albert 1er, les écouteurs vissés sur les oreilles où la musique résonne fortement, j'évite les regards noirs lancés par les autres élèves du bus. Le paysage de la verdure et des petites maisons beiges de la ville de Monaco défile. Il fait beau aujourd'hui, les rayons du soleil reflètent la blondeur de certaines mèches de mes cheveux châtains, mes yeux vairons de couleur bleu de la mer et vert de la nature s'éclaircissent.

    La sonnerie de mon téléphone me sort de ma contemplation de ce magnifique paysage, je viens de recevoir des milliers de commentaires suite à ma photographie que j'ai postée sur le réseau social Instagram. « Tu es moche. », « Comment ta mère a pu accepter une merde comme toi ! », « Tu fais ta modèle mais redescends sur terre, tu n'es personne. », « Elle est encore là celle-là ? », « Tu as des bonnes notes parce que tu aguiches les professeurs. », « Sale allumeuse ! », « Elle est où sur la photo ? Je ne vois qu'une plante verte. »  Toujours les mêmes critiques, j'essaye de passer outre mais ils reviennent toujours à la charge. Une perte de confiance s'est installée dans mon corps, une phobie scolaire me hante mais j'essaye de ne pas le montrer aux autres ni à ma mère.

     Je descends du bus sous les regards noirs et les rires des nombreux élèves parvenant jusqu'à mes oreilles malgré la puissante musique. Je me précipite vers mon casier, de nombreux mots tombent, évidemment ce ne sont que des critiques négatives. Oh non, pas encore...Un groupe de filles, populaires je dirais, vient vers moi et me bouscule contre mon casier. Une douleur aigue me transperce mon ventre, le fer du casier a claqué fortement toutes mes parties du corps, ça fait terriblement mal. Les nombreux élèves dans ce couloir ont vu, en rient et certains ont leur téléphone en main, ils ont sûrement filmé la scène. Je me dirige difficilement vers mon premier cours de la journée, je me précipite à ma table, sors toutes les affaires dont j'ai besoin puis range mes écouteurs à contre cœur. Un élève, assez baraqué et grand, projette mes affaires par terre en me traitant d'aguicheuse, j'encaisse les moqueries des autres et les ramasse. Le professeur nous donne le contrôle qu'on a effectué la veille, comme chaque bonne note que je reçois, je me prends en pleine face des insultes et des moqueries vulgaires. Mais ce qui m'attriste le plus c'est le fait que le professeur ne les arrête pas et ne fait rien face à cette scène. Pendant le cours, je fais mine d'écouter car la douleur de mon ventre est plus forte que tout à l'heure, on dirait qu'une barre en fer transperce mon ventre, la douleur est insupportable. A chaque respiration, je ressens cette douleur atroce ce qui me fait verser une petite larme, je me retiens de pleurer toutes les larmes de mon corps pour ne pas montrer ma faiblesse aux autres.

     Le moment que je redoute le plus à chaque fois, la cantine. Je ne prends pratiquement que le plat et qu'un bout de pain depuis quelques mois, de plus je n'ai pas très faim avec ma douleur. Je cherche une place, j'essaye de m'intégrer mais les gens me repoussent. Par exemple, il va y avoir une place vide à côté d'un groupe d'adolescents, je vais m'approcher et ils vont mettre leurs sacs ou vont me dire que c'est la place à un ou une de leurs amis. A la fin, je trouve une place tout au fond de la salle de la cantine, seule dans mon coin avec mes seuls amis, mes écouteurs. Une fille ne me demande même pas mon avis et me prend mon bout de pain puis s'en va rejoindre ses amies. Les commentaires péjoratifs augmentent de plus en plus, sur tous mes réseaux sociaux, j'évite de les regarder. Je sais déjà ce qu'ils pensent tous de moi, je ne sais même plus quoi penser de moi-même.

        De retour en cours, je dis adieu à mes écouteurs, bonjour les moqueries à voix haute. J'essaye tant bien que mal de suivre mais je peux observer qu'une élève fait passer un mot à un élève, qui le fait passer à quelqu'un d'autre et ainsi de suite. Je mets ma main à couper que ce mot parle de moi. Malheureusement le professeur l'intercepte et décide de le lire à haute voix – Cette allumeuse Garance ne mérite pas de vivre, elle n'est qu'une plante de verte dans cette classe. A cause d'elle, ma relation avec mon copain est finie. Viens on la pousse à bout afin qu'elle se suicide, de toute façon ça nous attristera pas si elle le fait ! – Je baisse la tête, je suis habituée à tout ça. Les élèves de la classe s'exclament tous avec joie, le professeur tente de les calmer mais rien n'y fait. Ils me regardent tous en rigolant, en me pointant du doigt comme si j'étais un objet. Je ne dois pas pleurer, ni partir, ça les rendrait heureux si je baissais les bras. Sauvée par le gong, la fin des cours retentit, je me dirige vers mon bus puis je me réfugie chez moi à l'abri des regards.

        Ma mère est encore au travail, j'ai la maison pour moi toute seule, je monte dans ma chambre. Je m'affale dans mon lit en me ressassant tout ce qu'il s'est passé. Je ne sais même plus de quoi est parti tout cet acharnement, je ne mérite pas cela. Je n'ai rien fait de mal, je suis juste une fille qui est introvertie avec des yeux vairons. Est-ce à cause de ça que tout le monde me harcèle d'abord ? Ou le fait que j'ai de bonnes notes ? Pourquoi on me harcèle d'abord ? Qu'ai-je fait pour en arriver là ? Je revois toutes ces personnes qui m'ont fait du mal, tout ce que j'ai pu me recevoir en pleine face. Des flots de larmes coulent sur mes joues ce qui accentue la douleur de mon ventre quand je renifle. Cela fait des années que ça me suit, est-ce une malédiction ? Je le pense fortement,  sortez-moi de là ! L'horrible idée m'interpelle au plus profond de moi, j'y pense chaque jour et l'envie est beaucoup plus grande à cet instant. Cette idée est un être terrible qui surgit quand tout va de travers dans votre vie. Dans ma tête, je ne vois que ce mot écrit en noir et en lettres majuscules. L'envie est là mais ai-je l'audace de le faire ? Je dois tenir tête à toutes ces moqueries, il ne faut pas que ça m'atteigne mais je n'ai plus la force. J'arrive à un stade où je ne peux plus supporter cette opiniâtreté de méchanceté.

         Pendant le repas, ma mère me pose les questions habituelles : « Ca s'est bien passé à l'école ? Tu t'es amusée avec tes amis ? Les cours étaient intéressants ? » Je lui mens en disant que tout se passe bien, j'essaye d'imiter la joie mais je ne peux pas la jouer correctement tant que je ne la ressens pas. Ma mère semble me croire ou alors elle cache son inquiétude, comme moi, je masque ma tristesse et tout ce qu'il se passe à l'école, en face d'elle.

Le lendemain

         Le professeur principal ainsi que le proviseur s'avancent petit à petit vers la salle de classe des premières L3 où se mêlent des rires et de la chamaillerie. Ils ouvrent la porte un peu trop fort ce qui fait taire les élèves de la classe. Les élèves ne s'attendent sûrement pas à cette annonce, comment vont-ils réagir dès qu'ils vont entendre cette nouvelle ? Le professeur principal prend la parole :

-          Je ne sais pas si vous avez remarqué que Garance n'est pas là aujourd'hui. J'ai reçu un appel de sa mère qui m'annonce que sa fille a mis fin à ses jours. De plus, sa mère a trouvé une lettre de sa part et je vais vous la lire :

« J'étais vraiment contente quand j'ai appris que j'étais invité à une soirée, je m'étais dit que c'était une occasion parfaite pour que vous me voyiez différemment et non comme la fille introvertie, qui ne parle pas. Au début de la soirée, tout se passait bien. Je m'éclatais en dansant sur la piste de danse, je chantais, je parlais à des gens sans trop de problème, je me sentais différente. Malheureusement, la soirée a vite tourné au drame. Je n'aurais pas dû boire beaucoup d'alcool, cela m'a fait perdre mes moyens. Je ne me reconnaissais pas. J'étais devenue soûle, je ne contrôlais plus mon corps. Ça ne pouvait pas être moi, la fille qui chauffait et embrassait plusieurs gars alors qu'ils étaient en couple, la fille qui se déshabillait sur la piste de danse. Pourtant c'était moi. C'était aussi moi qui avait posté des photos compromettantes sur les réseaux sociaux. Je voulais juste m'éclater, montrer aux gens que je pouvais être quelqu'un d'autre. C'était une terrible faute. Vous ne m'avez pas beaucoup aidé après cette soirée, j'espère que vous en êtes fiers. »

    Tous les élèves de classe étaient silencieux, certains avaient la tête baissée, honteux de ce qu'ils avaient fait. Puis, d'autres interagissaient :

-          Je trouvais cela drôle, je ne savais pas qu'elle souffrait à l'intérieur.

-          Elle montrait que ça ne l'atteignait pas alors j'ai continué.

-          Je ne la harcelais pas, j'étais juste un témoin de la situation. Je voulais lui venir en aide mais je pensais que si je le faisais, les autres élèves s'en prendraient à moi.

-          Nous regrettons tous ce qu'on lui a fait, que ce soit en tant harceleurs ou témoins.

- Je ne pensais pas que ça pouvait aller aussi loin...


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Hey !

J'ai envoyé cette nouvelle pour le concours de LApporte Plume de 2018 ayant comme thème : "Fautes...et conséquences". Malheureusement ma nouvelle n'a pas été retenu mais je prévois de participer pour le prochain concours ayant pour thème "Dix ans déja !"

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