Chapitre 6 - Légende

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- Viens là, mon petit... Attends, calme-toi. Pourquoi tu fuis ? Chut, chut ! Je ne vais pas te faire de mal.

Trois coups contre la porte de l'appartement.

- Entrez ! Allez, allez, mes petits. Ah ! Toi, tu es gentil. Tu as tout compris mon bébé... Mais...

Loïs était agenouillé sur un petit tabouret, penché au-dessus de son aquarium, sérieusement occupé à faire de la pêche aux poissons rouges. Grégoire, en entrant, manqua de s'étouffer en le voyant ainsi et courut vers lui pour le faire descendre de cet équilibre instable. Mais l'écrivain, obnibulé par le poisson qu'il venait d'attraper dans sa ridicule épuisette, ne prit pas garde au visiteur et se contenta de fixer durement le poisson pris au piège. L'eau venait inonder tout le parquet, le poisson se tordait en tous sens et un curieux sourire venait éclairer les traits de Loïs de Liset.

- Loïs, est-ce que ça va ? Remets ce poisson, voyons... Il ne t'a rien fait !

Et d'un coup sec, l'écrivain remit le poisson dans l'eau et se tourna vers son visiteur :

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Il fallait que je te parle.

- Eh bien, vas-y.

Grégoire était troublé. Le sujet était complexe et il se voyait mal en discuter debout, dans une flaque d'eau, face à un Loïs à la chemise ouverte, pieds nus et décoiffé.

- Ne pourrait-on pas...

- S'asseoir ? Coupa son hôte. Si, si !

Et il apporta deux chaises de cuisine au milieu du salon, loin de tous meubles et dans la flaque. Grégoire eut un petit sourire amusé :

- Je croyais que tes excentricités n'étaient que façade ?

- C'est ce que disait l'autre, hein ? Rétorqua l'écrivain soudainement devenu maussade. Ce fameux comte. Eh bien, il a toujours eu tort.

Mais le jeune homme put noter la voix hésitante de Loïs et crut comprendre que quelque chose n'allait pas.

- Tes écrits, comment se portent-ils ?

- C'est pour me demander de mes nouvelles que tu es venu me voir ? Dans ce cas, tu peux partir. Je n'aime pas les gens.

- C'est pour te demander comment se portent tes écrits que je suis venu te voir. C'est eux, l'objet de ma visite.

- Ah bon ? S'étonna l'autre un brin décontenancé. Mes écrits, mes écrits... Ils avancent à leur rythme... C'est-à-dire désespérement lentement.

- As-tu un sujet pour ton prochain romain ?

- Non.

- Page blanche ?

- Oui, s'énerva encore Loïs.

- Et ça t'énerve...

- Sans blague ! Il y a tout le monde qui me crie dessus ! Les journalistes, les maisons d'édition, les fans... Ce que c'est fatigant d'avoir des fans ! "Et quand sera ton prochain roman ? Sur quel sujet ? Il avance ? Il avance ? Il avance ?" J'ai parfois des envies de... De... De de de... Bref, je voudrais bien tous les envoyer paître au loin. Mais, il faut que je trouve un sujet. Ils ont raison. Mes économies fondent à vue d'œil.

- Vraiment ? Ironisa Grégoire qui n'en croyait rien tant était grande la fortune de Loïs de Liset.

- Si si ! C'est vrai. Je voulais m'acheter un yacht hier, pour aller prendre l'air pendant deux trois jours en mer. Eh bien, c'était trop cher !

- Non ?

- Si, je te jure.

Le pire était que Loïs était véritablement désespéré et persuadé de toucher le fond. Enfant d'une famille riche et écrivain best-seller dès qu'il eut passé la vingtaine d'âge, il ne connaissait que le luxe et le sur-luxe.

Le Palais des amoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant