Chapitre 4: Le Petit Prince

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- Oui, c'était plus qu'une visite de routine. Mais... je ne sais pas vraiment ce que j'ai, j'attends des résultats.
- Mais... Les médecins avaient l'air plutôt optimistes ou plutôt pessimistes, finit par demander Anaïs après un long silence.
- Et bien, disons que... Ma mère est morte en ayant les mêmes symptômes sans qu'on ne sache ce qui n'allait pas.  Ses examens n'avaient donné aucun résultat.
- Comment tu peux dire ça aussi calmement ? lâcha Mitsuki.

Un rire nerveux m'échappa.

- Moi calme ? Oui, bien-sûr, je suis très calme. Oui, je parle de ma mort sans aucun doute imminente avec un calme absolu ! Ça t'arrive d'essayer de voir plus loin que ce que les gens te montrent ?

Quelques instants plus tard, mesurant mes paroles, je m'excusai. Ces mots devaient sortir à un moment ou à un autre, de toute façon. Si je ne les avais pas dit, ils m'auraient rongée, je le sais. Oui j'avais peur, c'est tout à fait normal ! J'étais beaucoup trop jeune pour mourir, n'importe qui serait d'accord avec ça.

~♫~

Le reste de l'après-midi passa en un éclair. Je n'avais pas réussi à me concentrer sur les paroles des professeurs, et puis les puissances de dix et la reproduction asexuée ne sont pas des sujets passionnant, c'est le moins qu'on puisse dire...

Quand je suis rentrée chez moi, mon frère m'attendais dans le salon, la vieille guitare de ma mère à la main. Elle nous avait appris à en jouer quand nous étions petits.

- Ça te branche un petit concert privé ? fit mon frère.

Bien sûr que ça me branchait ! On avait sans doute passé les meilleurs moments de notre enfance avec cette guitare. Je m'asseyais donc à côté de lui et chantais les chansons qu'il jouait. Ça faisait tellement longtemps que nous n'avions pas fait ça... et ça faisait tellement longtemps que j'attendais qu'on le refasse. Avant, on se posait souvent dans le salon, moi, Shiro et ma mère pour jouer de la musique et chanter. Mais un jour, ma mère a eu beaucoup plus de "travail". C'est à ce moment là que j'ai compris qu'en fait, ce n'était sûrement pas pour le travail qu'elle s'en allait tous les jours à l'hôpital.

~★~

La nuit suivante je ne parvins pas à dormir.

J'avais.
    Beaucoup.
        Trop.
            Mal.
                À.
                    La.
                         Tête.

Donc j'attendis. J'attendis de perdre connaissance. J'attendais d'oublier le supplice que me faisaient subir tous ces couteaux qui s'entrechoquaient dans ma tête et se cognaient contre mon crane. Mais rien ne vint. Ni oubli, ni perte de connaissance. Le supplice s'éternisa. Le temps passa, puis des pierres se mêlèrent aux couteaux. Puis vinrent les horloges et leur tic tac assourdissant. Leur tic tac qui semblait ralentir, s'étirer, comme si le temps ralentissait pour mieux me faire souffrir.

Tic tac  tic  tac   tic   tac    tic    tac     t i c     t a c      t  i  c      t  a  c       t   i   c       t   a   c   .       .         .

Je crois que mes yeux étaient ouverts mais je ne voyais rien. Paralysée par la douleur, je ne sentais que les larmes sur mes joues et leur goût salé. Je ne sais pas combien de temps je suis restée comme ça, je sais juste qu'à un moment j'ai entendu quelqu'un entrer dans ma chambre, puis une voix paniquée qui semblait parler au téléphone. Puis une sirène et des gens qui m'ont portée. Et puis, enfin, le noir, les couteaux, pierres et le tic tac des horloges disparurent. Le serpent avait enfin décider de me libérer, mais pas tout à fait comme dans le Petit Prince, cette morsure là m'avait seulement endormie.

Quand je me suis réveillée, j'étais dans une chambre d'hôpital. J'avoue que mes souvenirs de ce jour sont confus... désolée, je ne peux pas t'expliquer ce qu'il s'est passé. Je me souviens juste d'infirmières, de médecins et que Shiro était passé me voir après ses cours. Mon père avait pris le soin de le déposer devant son lycée et d'attendre de le voir entrer pour s'en aller. Il espérait que les cours puissent faire penser Shiro à autre chose. Ça n'avait vraiment pas marché... J'ai remarqué qu'il s'était rongé les ongles. Pour la première fois depuis longtemps, je l'ai observé. J'ai détaillé tous ses traits comme si c'était la première fois – ou la dernière – que je le voyais. Ses cheveux châtains en bataille, ses yeux verts anxieux, sa peau pâle... bien plus pâle que d'habitude... Je n'avais qu'une envie: le lever et le serrer dans mes bras, comme pour lui dire " Tout va bien, je suis encore là. Je suis toujours vivante. " Mais interdiction de me lever, avait décidé l'infirmière qui était passée plus tôt. Et puis ç'aurait été un terrible mensonge. Non je ne vais pas bien, même un aveugle le verrait, même un sourd l'entendrait.

Je ne veux plus mentir. À ce stade ça ne sert plus à rien. Si j'avais bien compris ce que le médecin avait dit à une infirmière pendant que je faisais semblant de dormir, à ce moment là, il me restait un peu plus d'un mois à vivre en étant optimiste. Je ne sais pas comment ils sont arrivés à cette conclusion sans savoir de quoi je souffrais, mais bon...

Quand mon frère a dû partir, je crois que j'ai compris ce que ressentais le Petit Prince sur son astéroïde pas plus grand qu'une maison, avant l'arrivée de sa rose. On s'y sent seul. Au moins lui avait des volcans à ramoner ou des baobabs à arracher, et des couchers de soleil à regarder, mais là dans cette chambre d'hôpital, on ne pouvait rien faire. On ne pouvait ni observer le soleil se coucher plusieurs fois d'affilée, ni même rêver; comme si les murs blancs de ma chambre absorbaient tout espoir de guérison et comme s'ils agissaient comme des repousse-rêves. Comme si les étoiles avaient décidé de ne pas briller au dessus de cet hôpital. Comme s'il voulait me convaincre qu'il ne pourrait pas m'aider tout en essayant quand même un tout petit peu. Comme si je n'étais pas dans un hôpital mais dans un cimetière de rêves irréalisables ou de cauchemars pas assez effrayants. Comme si je ne voulais pas comprendre ce que je faisais ici. Comme si j'essayais de me convaincre qu'on pouvait me sauver, alors que je savais très bien que c'était impossible. Le serpent finirait forcément par venir me libérer pour de bon.

~∆~

" Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux. "

Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince

Éclats De VerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant