64 : Le rat des ongles

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« Si tu continues à te ronger les ongles, le rat des ongles va entendre ton grignotage ! » C’est ce que me disait ma mère à chaque fois que mes incisives s'occupaient du bout de mes doigts. « Si tu continues à cracher tes ongles partout, le rat des ongles va sentir leur odeur et trouvera notre maison ! » C’est ce que me disait ma mère pour stopper cette mauvaise habitude qui s’était peu à peu installée au cours de mon enfance. Heureusement, mon père me rassurait, me disait que le rat des ongles était une invention de ma mère, qu'il n'existait pas. « Si tu continues à cracher tes ongles dans ta chambre, l’horrible rat des ongles grignotera tes doigts dans ton sommeil puis fera un nid sous ton lit ! » C’est ce que me disait encore ma mère. « Si tu continues à manger tes ongles dans ta chambre, l’horrible rat des ongles fera un trou dans ton ventre et ira les chercher au fond de tes entrailles ! » C’est ce que me disait ma mère pendant ma préadolescence. 

J’étais onychophage, ce qui signifiait que je ne pouvais pas m’empêcher de ronger mes ongles. C’est venu progressivement, au fur et à mesure que je grandissais et découvrais les horreurs de ce monde et le caractère très agaçant de ma mère. 

Oui, ma mère était ma cause principale d’anxiété. J’étais un enfant paisible, calme, j’étais son exact opposé. Ma mère était une tornade, une pelote de nerfs qui n’arrêtait pas de nettoyer ce qui était déjà propre, de rendre parfaite une maison déjà parfaite, de courir aux quatre coins du jardin pour ramasser la moindre feuille morte. 

Comme ses refrains sur le rat d’ongles s’usaient et me faisaient aussi peur qu’une tasse à café, ma mère a mis en pratique d’autres techniques : morceau de sparadraps au bout des doigts, gants noués autour du poignet avec un serre-lien, menaces multiples comme me couper les doigts ou m’arracher les ongles ! Bien sûr, elle parlait plus qu’elle n’agissait réellement et hormis les gants et les sparadraps, je n’ai subi aucun sévice. De toute façon, mon père n'aurait pas accepté que maman me fasse du mal. Et puis un soir, le rat des ongles est entré dans ma chambre.

J’avais 13 ans. Vers une heure du matin, alors que je venais de poser mon smartphone sur ma table de nuit et d’éteindre ma lampe, la poignée de la porte a cliqueté avant qu’un rai de lumière n’en dessine le cadre. Les gonds ont sinistrement grincé, comme si un violoniste fou jouait une note discordante derrière la porte.

Un long museau est apparu en premier. J’étais horrifiée, surtout que j’avais lu quelques creepypastas particulièrement effrayantes avant d’éteindre ma lampe. La truffe rosâtre se levait par à-coups, reniflant sans doute l’odeur de mes bouts d’ongles perdus dans la moquette. En retrait de cette truffe immonde, deux incisives jaunâtres étaient aussi grandes que ma main. Le museau était long, anormalement long. Des yeux rouge-vif, aussi gros que des boules de pétanque, sont ensuite apparus. La gueule a encore avancé dans l’ouverture, révélant deux oreilles couvertes de poils qui tombaient jusqu’aux yeux sans paupières.

J’ai hurlé quand le rat a passé le reste de son corps dans l’entrebâillement. Il était long et gros, vraiment très gros. Il s’est levé d’un coup et a avancé à grands pas vers mon lit, ses longues griffes repliées sous son museau. Sur l’instant, je n’ai pas remarqué que son corps était couvert d’une chemise de nuit grisâtre, comme celle que portait ma mère. Ses genoux craquaient à chaque pas, j’entendais aussi le claquement de ses dents. Prêt à me défendre, j’ai saisi ma lampe de chevet et l’ai braquée devant moi. C’est alors que le rat a parlé : 

- Tu as mangé tes ongles vilaine petite fille, je vais te dévorer le ventre ! Cette voix je la reconnaissais parfaitement, c’était bien celle de ma mère.
- Maman ? ai-je balbutié.
- Je suis le rat des ongles, je vais punir la petite peste dans son lit !

Le rat s’est penché au-dessus de moi et a commencé à me caresser le ventre avec ses longues griffes. Ça ne faisait pas mal, au contraire, j'aurais pu dire que ça me chatouillait. D’un réflexe, j’ai vivement repoussé sa main.

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