La peur, c'est ce que j'éprouvais.
La trahison c'est ce que je pensais ressentir.Ses prunelles à travers les miennes, elle s'avançait vers moi d'un pas lent. Et, alors que je reculai jusqu'à avoir le dos plaqué contre une de ses planches pourries, Gothik leva un sourcil et me défia du regard. Elle avait remarqué la dague que je tenais fermement de ma main droite, pointe orientée vers elle. Je fronçais mes sourcils et contractais ma mâchoire afin de me donner un air menaçant et confiant. Tout l'opposé de ce que j'étais à ce moment.
Elle passa près de moi sans me considérer, et d'un geste vif, elle déchira les ténèbres. La lumière me frappa malgré sa faible intensité. De la poussière planait autour de nous, et je compris que Gothik n'avait fait qu'ouvrir ses rideaux. À présent même les plus infimes détails m'étaient révélés. Elle ramassa un vase rempli de sable et prit place devant ses fenêtres tordues.
Puis, inclinant son récipient horizontalement, les grains de sable s'écoulèrent dans un murmure granuleux. Elle me fit signe d'approcher, chose que j'hésitai à exécuter. Néanmoins la dague toujours en possession, je fît assez de pas pour être confrontée à son regard inquiet. Le sable répandu de son entièreté sur le bois, elle s'assit et me fit signe d'en faire de même.
Ses doigts commençaient à tracer dans la matière mouvante, glissant et poussant les grains afin d'en créer plusieurs mots.
« Je suis muette. »
Détachant mes yeux de ses mots pour les plonger vers elle, je remarquai bien vite que son regard soutenait le mien. Une expression dure collée sur ses traits. De sa paume, elle effaça son message et se remit à écrire.
« Il faut que tu saches, il ne faut pas que les ténèbres te corrompent. »
« Il faut que tu saches avant qu'il ne soit trop tard. »
Quelle habile manière d'obtenir ce qu'elle voulait.
« Tu tiens d'Harold le fait que je puisse lire dans le futur, et ce n'est pas en tout point faux. Je dois te mettre en garde que vous êtes liés par un bien sombre fil, et le seul moyen de vous en délivrer est de le trancher. »
« Ton destin est noir et tes choix le rendront plus obscur encore. Les épreuves que tu endureras seront pénibles et t'arracheront une part de ton âme. »
« Cependant je suis en mesure de t'aider, pour que tout ce mal te soit et nous soit à tous évité. »
Je demeurais incrédule, ce n'étaient pas mes croyances.
« Tu ne dois plus le voir. Vous devez reprendre vos responsabilités en tant qu'enfant de chef. »
« Vous ne devez plus vous rencontrer, ne surtout pas vous rapprocher. Mérida, vous n'avez pas le droit de vous aimer. »
Elle voulait uniquement sauver son peuple, elle n'en avait que faire de moi.
« Tu dois m'écouter. »
« J'ai vu des flammes dévorer les maisons, vos chagrins et ta perte. »
Et pourtant, j'aimerais remonter le temps et l'écouter plus attentivement.
« Cessez cette folie avant que le soleil ne se lève. Et avant que tu ne vendes ton âme au vilain. »
Sa respiration devint plus intense, son air inquiet ne l'avait pas quitté, mais son expression s'était adoucie. L'ombre de sa face gauche ne cachait en rien ses doux yeux gris. Ses prunelles semblaient vivantes tellement elles tremblaient. Était-ce de la tristesse ? À vrai dire, j'étais incapable de le dire.
Ses lèvres s'étiraient afin de m'offrir un sourire chaleureux. Elle éleva sa main dans les airs pour toucher ma joue. Ce contact me fît sursauter, pourtant je me calmai lorsque je ressentis la délicatesse de son tendre geste. Sa peau tiède caressait la mienne, bien qu'entravée par quelques grains de sable encore présents dans les plissures de sa paume.
Elle ouvrit sa mince bouche et mima les mouvements que celle-ci effectue dans le but de prononcer ces seuls mots :
« Ne fléchis pas devant la haine, sois plus forte qu'elle, et pardonne. »
*
Gothik ne me raccompagna pas, mais me regarda m'éloigner d'elle dans un silence pesant. Je poussai la porte sans conviction et arrivais près d'Harold. Malgré le grincement de celle-ci, il ne m'entendit pas sortir et semblait m'attendre nerveusement.
Il était assis sur une des marches de la bâtisse, dos courbé. Ses cheveux dansaient sur la douce brise, et ses doigts ne cessaient de trembler au même rythme que sa jambe tapait le sol.
« Harold ?
— Ah ! Vous avez fini de discuter. fît-il dans un soubresaut.
Il est tard, veux-tu que je te raccompagne ? Si tu as de la chance, tu pourras peut-être même voir les étoiles de plus près avec Krokmou.— Krokmou ? »
Avec son sourire habituel, il m'indiqua d'un coup de tête une forme ovale à quelques mètres de lui. Les yeux plissés, je m'approchais et reconnu bien vite le dragon qui m'avait autrefois projeté. Il s'était enroulé sur lui-même comme pour conserver la chaleur de son corps. Ses paupières cachaient ses grandes prunelles noires, et sa respiration endormie laissait quelques grognements s'échapper.
À présent, il ne m'impressionnait nullement, après tout, les dragons n'étaient pas invincibles.
« Il dort... Et puis je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
— Étant donné le nombre d'heures durant lesquelles il somnole, je ne pense pas qu'une de moins lui sera fatidique, plaisanta-t-il une main derrière sa nuque.
— Harold, Gothik t'a-t-elle prédit le même malheur qu'à moi ? »
Ses lèvres se fermèrent en un pincement que je devinais douloureux. Ses yeux me fixèrent tristement, et il jeta un regard vers les fenêtres de bois. Contrairement à moi, il croyait à ses paroles.
« La nuit tombera bientôt, tu ne connais pas mes terres ni les animaux qui y rôdent. Je ne fais que te ramener sauve chez toi. »
Ses arguments me convainquirent et me conduisirent jusqu'à son dragon. Comme par intuition il ouvrit les yeux et se redressa. Sa posture n'adoptait guère celle d'un prédateur, mais ce soir c'était celle d'un ami.
« Je t'avais dit qu'il n'était pas méchant.
— Oui » acquiesçais-je alors que ma méfiance envers lui n'avait pas changé. Seule ma peur avait disparue.
Il se retourna et parut essuyer la selle du revers de sa main.
C'est la dernière fois que l'on se rencontrait, et à cette pensée mon cœur se compressa.*

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CLANS
FanfictionIls étaient deux. Deux fragments d'une même âme, morcelée par la haine et la cruauté humaine. L'aurore de leur vie les sépara dès le premier cri, et tous deux naquirent ennemis. Engendré par la violence de leurs aînés, le lien qui les unissait étai...