Cette nuit-là la culpabilité me rongea de l'intérieur et au petit matin je me rendis compte que mes draps étaient trempés. Une fatigue minime m'assommait, mais je voulais apaiser mon esprit et veiller sur les miens.
À Dun Broch les aurores étaient magnifiques qu'importait la saison, c'était une chose que mes levés tardifs m'empêchaient d'admirer. Après m'être réveillée à l'eau froide, je descendis aux cuisines et informai nos domestiques qu'ils pouvaient disposer.
Avec amour je préparai quelques fruits ainsi que les tartelettes préférées d'Hubert, Hamish et Harris. Nous déjeunâmes dans une atmosphère des plus paisibles et chaleureuses. Mes parents avaient été agréablement surpris tout comme mes frères qui n'avaient rien laissé, dévorant jusqu'à la dernière miette.
À la fin du repas, ils m'emmenèrent avec eux dans leur chambre et je passai la mâtiné à leurs côtés. Nous jouâmes à toutes sortes de jeux, bien qu'ils apprécièrent particulièrement les plus malicieux. Ensuite Harris m'apporta un conte écossais avec un sourire auquel je ne pu résister. Les triplets furent attentifs jusqu'à ce que le sommeil les emporta.
Leur nourrice fut soulagée d'apprendre qu'ils s'étaient endormis, pauvre Maude.
Ma mère et moi discutâmes librement, et pour la première fois je me surpris à boire chacune de ses paroles. Mon père quant à lui, s'enferma dans la salle de décision avec ses conseillers. Les réunions qu'il entretenait semblaient se rallonger à mesure que les semaines s'écoulaient, néanmoins elles ne le détachaient aucunement de sa bonne humeur.
Le jour s'acheva vite, tout comme ceux des quatre mois qui suivirent. Notre royaume gagna en puissance en assurant certaines alliances, et plus important encore, il prospérait.
Ma famille était heureuse et c'était tout ce qui m'importait. De temps à autre je jetais des regards au-delà de nos murs, et dire que je ne pensais plus aux Vikings aurait été un mensonge effronté.
Le souvenir que j'avais d'Harold était encore étrange et frais dans ma mémoire, et la même question ne cessait de résonner en moi. Savait-il pour la sauvagerie que les siens avait commis ?
Mon père avait aménagé quelques habitations de fortune afin de protéger les paysans de l'Ouest, qui vivaient encore hors des murailles. Les débris des anciennes maisons furent enlevés pour effacer ce souvenir qu'ils avaient. Mais l'absence de ces vies volées laissait une marque de fer sur nos peaux.
*
À l'aube du cinquième mois, un bruit sourd et singulier m'interpella lorsque je passai dans les couloirs. Il semblait provenir d'en dehors du château et ne cessait de résonner encore et encore. Ma curiosité était piquée. Je déposai rapidement les livres que je transportais dans ma chambre et me dirigeais vers lui.
Passé le pont-levis, les bruits s'amoindrirent. C'est à ce moment que je le remarquai affolé, les oreilles plaquées à l'arrière et la gueule pendante.
« Krokmou ? »
Il était à l'exact endroit où il m'avait déposé. Mon regard parcourut nos alentours mais je ne parvins pas à trouver le Viking.
« Krokmou, où est Harold ? »
Dès que mes lèvres prononcèrent son nom le dragon scella ses prunelles en les miennes. Il était agité et grognait sans relâche. Son attitude changea mon intrigue en inquiétude, alors pressant mes pas je le rejoignais. Seulement lorsque je fus assez proche pour le toucher, il recula vivement et me fit comprendre de ne pas approcher plus.
Il ne tenait pas en place mais paraissait vouloir que je le suive.
« Calme-toi, calme... Regarde je suis là, ne t'affole pas comme ça... »
J'essayais de faire taire ses gémissements qui prenaient de plus en plus de volume. S'il était venu jusqu'ici, c'était que quelque chose n'allait pas. Il ne pouvait pas voler sans qu'Harold actionne le dispositif de sa queue. Je fis un pas, il en recula de deux.
« Oh Krokmou, soufflais je, comment veux-tu que je t'aide ? »
Je décidais de m'approcher avec prudence avant de poser une main délicate sur son front. Il ne la rejeta pas, c'est pourquoi je pris le temps de le gratifier avec quelques paroles. Ma main glissa vers son cou puis sur la scelle. Il m'était difficile de soutenir son regard, mais serrant mon courage à deux mains je me hissais sur son dos.
Ses pupilles s'agrandirent immédiatement, il tut ses grognements mais demeurait paradoxalement la gueule ouverte, dans une posture agressive.
Je me redressais et soufflais, c'était un dragon, donc comme les animaux il devait être sensible aux émotions humaines. J'examinais ensuite la manivelle qui servait à déployer sa queue artificielle. Je n'avais qu'à la maintenir sous pression non ?
« Aller mon beau... Emmène-moi à lui. »
Le dragon sentis son corps se compléter, et le soulagement m'éprît lorsqu'il décida de suivre ostensiblement mes paroles.
Je tentais de me rassurer afin de ne pas laisser place à la peur et à l'angoisse. Je devais me montrer courageuse pour Krokmou. Après tout en m'accordant le droit de le monter, il me prouvait une certaine confiance à laquelle je fus sensible.
J'avais compris comment doser la force que je mettais sur l'objet de fer tandis qu'il prenait une allure rapide.
Le paysage défilait à une vitesse impressionnante, mais au loin je pouvais entrevoir une épaisse fumée.Lorsqu'on arriva et que Krokmou entama sa descente vers la terre, je perdis soudainement le contrôle et nous chutâmes lourdement.
Des branches m'ébréchèrent la peau mais heureusement pour nous, nous n'étions pas tombés de trop haut. Il me semblait que Krokmou n'avait rien eu de grave puisqu'il s'élançait déjà vers le village.
« Eh ! Pas si vite ! » lui hurlais-je en lui emboîtant le pas.
L'odeur du bois qui brûle nous entoura alors que la fumée se faisait plus épaisse encore. Des cris mêlés à des crépitements agressèrent notre ouïe, des ordres, des pleurs, c'était déchirant à entendre.
Une peur me tordit soudainement les boyaux. Les flammes menaçaient-elles Harold ?
Krokmou reprit ses hurlements. Ils étaient bien plus forts et plus puissants, mais ce qui me frappa premièrement c'était le ton qu'il semblait utiliser. Ses cris étaient en réalité des supplications, il appelait le Viking.
*
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CLANS
FanfictionIls étaient deux. Deux fragments d'une même âme, morcelée par la haine et la cruauté humaine. L'aurore de leur vie les sépara dès le premier cri, et tous deux naquirent ennemis. Engendré par la violence de leurs aînés, le lien qui les unissait étai...