CHAPITRE 11 : Une montre particulière.

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La panique se diffusa progressivement.
Madame Elisa, qui s'était figée au milieu de la piste de danse à la vue des invités qui rapetissaient, regardait autour d'elle, une expression d'horreur sur le visage.
« Où est le prince ?! OÙ EST LE PRINCE ?! » criait un valet en livrée royale.
Alice n'avait pas bougé, saisie par le spectacle de toutes ses personnes qui disparaissaient à vue d'œil. Elle entendit soudain : « ALICE ! Par ici ! En bas ! » Elle baissa les yeux, et vit le prince Raphaël, à présent minuscule, lui faire de grands gestes. Elle se baissa pour le ramasser, ne sachant comment gérer cette situation surréaliste.
« Ha vous ! Là ! Avez-vous vu le prince ? » lui lança le valet qui cherchait le prince. Les yeux exorbités et affolés, il baissa le regard sur la main d'Alice. « Mais qu'est-ce que... PAR TOUS LES SAINTS ! Mais qu'avez-vous fait ?! »
Alice, plus perdue que jamais, ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Elle tenait littéralement le prince Raphaël dans sa main et il avait à présent la taille d'une fée bleue.
Madame Elisa, qui n'avait pas perdu sa taille et avait retrouvé ses esprits, arriva au moment ou Alice mettait le prince dans la main du valet royal. « C'est un scandale Madame Elisa ! s'écria-t-il indigné, empoisonner le prince ! vous avez perdu la tête !
Ne vous inquiétez pas, votre Altesse, reprit-il en s'adressant au prince qui était debout sur sa paume, nous allons rentrer au palais et vous retrouverez votre taille rapidement ! »
Il tourna les talons d'un air dédaigneux et offusqué, et s'en fut sans autre forme de procès.
Madame Elisa se précipita vers Alice : « Tu n'as rien ? Ça va ? »
Alice hocha la tête : « Que s'est-il passé Tante Elisa ? demanda-t-elle en regardant les invités courir en tout sens, les uns quittant le manoir, les autres ramassant les petits convives.
- Je ne sais pas Alice. Elle regarda la table ou Alice était assise une seconde avant cette folie. Tu n'as pas mangé ton gâteau ? lui demanda-t-elle, suspicieuse.
- Non, je ne l'ai pas touché », lui dit Alice.
Elle se demandait pourquoi sa tante se souciait du fait qu'elle n'ait pas mangé son gâteau, alors que la moitié des invités faisait maintenant la taille d'un écureuil. « Je n'en ai pas mangé non plus » se contenta de dire sa tante.

La réception, tout comme le festin, avait définitivement pris fin. Les domestiques accompagnèrent les minuscules invitées, qui hurlaient des invectives scandalisées, à l'extérieur du manoir pour que les malheureux soient conduits à l'hôpital.
Madame Elisa se tourna vers Alice : « Monte dans ta chambre, je vais régler tout ça. »
Alice aperçut Archibald qui donnait des instructions à John, son valet, et à Stephan. Elle fut soulagée de voir qu'ils n'avaient pas été rapetissés.
Mais qui avait donc pu empoisonner le gâteau se demandait Alice en montant dans sa chambre. Et à quoi bon rapetisser des personnes à un bal, cela n'avait pas de sens. Si c'était une blague, elle était de très mauvais goût.
« Mademoiselle Alice ! » C'était encore Anette. Cela devenait agaçant pour Alice de ne pas pouvoir faire un pas sans voir la femme de chambre aux cheveux de feu lui courir derrière.
« Je suis contente de voir que vous allez bien ! lui dit-elle avec une expression indéchiffrable.
- Oui, Anette, j'ai eu de la chance. J'allais dans ma chambre.
- Ho bien sûr, oui. C'est une chance que vous n'ayez pas mangé de ce gâteau. Et bien, je vous souhaite une bonne nuit Mademoiselle.
- Bonne nuit Anette. »
Alice lui tourna le dos, heureuse d'en être enfin débarrassé, ne serait-ce que le temps d'une nuit.
Elle enfila sa chemise de nuit une fois dans sa chambre et plia correctement sa robe de bal avec un soupir mélancolique.
Elle s'entendait si bien avec le prince, et peut être, oui peut-être, allait-il même l'inviter à danser. Elle rangea sa robe avec amertume dans son armoire. C'est alors qu'un objet tomba de l'étagère. Son vieux journal ! Elle fouilla frénétiquement au fond de l'étagère d'où il était tombé et en sortit son vieux lapin ! Elle les avait complètement oubliés, pendant tout ce temps. Elle vit alors son reflet dans le miroir de l'armoire, une brindille aux cheveux de blé, qui tenait un vieux journal écorné et un vieux lapin épuisé dans les mains. Elle réalisa soudainement à quel point elle avait changé.
Alice songea un instant à se débarrasser de ces deux petits objets, qui racontaient un lourd passé. Mais au lieu de les jeter, elle les remit au fond de l'étagère.

Elle alla s'allonger dans son lit pour y réfléchir à tous les évènements qui s'étaient produits au manoir depuis son arrivée. Aucun miroir n'avait été brisé depuis l'attaque d'Anette. Et cette nouvelle histoire de gâteau empoisonné ne faisait qu'embrouiller de plus en plus le tableau qu'Alice croyait voir se dessiner peu à peu. Elle sentit alors un contact froid sur son pied. Elle se redressa en sursaut. En cherchant sous les draps au niveau de ses pieds, elle mit la main sur l'objet qui l'avait fait sursauter.
C'était une montre à gousset en or, surmontée de pierres bleues qui chatoyaient au moindre mouvement. En l'ouvrant, Alice découvrit un cadran des plus intrigant. Il y avait des inscriptions en or sur fond bleu qu'Alice ne comprenait pas, et des aiguilles qui indiquaient toute sorte de choses excepté l'heure. Instinctivement, elle chercha s'il n'y avait pas autre chose sous le drap. Et elle en sortit une seconde plus tard un petit carnet de couleur noire, avec une couverture de cuir souple. Sur celle-ci on pouvait lire, en lettre d'or : Manuel d'usage de l'Hybris Artistica et plus bas : par Jonas Mervel, Retourne-temps au service de la couronne, et Horloger Royal.
Fébrile, elle ouvrit le petit carnet. À l'intérieur se trouvait un véritable mode d'emploi de la magnifique montre qu'elle venait de trouver. Il était écrit à la main, celle de son père disparu, et c'est avec une forte émotion qu'elle parcourut ses pages.
Les premières contenaient des instructions, d'une complexité folle, qui indiquaient comment ajuster la période traversée par le retourne-temps. Alice prit la montre en tremblant et voulut essayer une des fonctions de la montre. Les illustrations qui accompagnaient les instructions étaient compréhensibles pour Alice, au contraire des formules, alors pourquoi pas se disait-elle. Elle s'apprêtait à tourner l'une des multiples couronnes de la montre, mais elle se ravisa. En réalité, elle était terrifiée. Et elle ne pouvait pas prendre le risque de faire ça seule.
Elle finit par ranger la montre et le carnet. Elle les dissimula dans son armoire, entre deux vêtements, et retourna se coucher.
Elle se demanda qui avait bien pu lui laisser cette montre et ce carnet, tout en ramenant les couvertures sur elle. Cela devait forcément être son grand-père Archibald, mais elle avait quelques doutes. De ce qu'elle en savait, les retours dans le temps étaient surtout une chose extrêmement dangereuse avant d'être un don fantastique. Et son grand-père ne prendrait pas le risque de la laisser utiliser son pouvoir toute seule, sans connaissances. D'ailleurs avait-elle même ce pouvoir ? Elle ferma les yeux. À cet instant, une pensée fulgurante la frappa. Elle n'avait jamais dit à Anette que le poison était dans le gâteau.

« Je t'assure, dit Alice en levant les bras d'impatience, elle a dit exactement ça "'c'est une chance que vous n'ayez pas mangé de ce gâteau"' alors que je n'avais pas du tout parlé du gâteau !
- Je ne sais pas Alice, lui répondit Janice peu convaincue, Anette ? Une empoisonneuse ? Si ça te trouve, ta tante lui a parlé juste après la réception. »
Janice était revenue de ses vacances, quelques jours seulement après la tenue du bal d'hiver. Elle avait apporté à Alice une de ces fameuses pierres de runes maudites, très répandue dans l'archipel des Hébrides, sans manquer de lui faire de graves recommandations. « Ne lis jamais à haute voix les runes surtout, sinon la malédiction prendra effet ! ».
Elle s'était extasiée puis horrifiée lorsque Alice lui avait conté comment s'était déroulé le bal. Et elle avait failli s'étouffer en découvrant la montre et le carnet qu'Alice avait découvert dans son lit le soir du bal.
Elles discutaient cet après-midi dans la bibliothèque des forts soupçons que portait Alice sur Anette.
« Et tu ne veux pas en parler à ta tante ? lui demanda Janice.
- Non, elle passe son temps à l'extérieur ou dans son bureau privé. Depuis le bal elle rend visite à tous les invités qui ont été victimes du gâteau empoisonné et Archibald l'accompagne pour la soutenir. Elle doit présenter des excuses à tout le monde !
- Oui, ça complique les choses. Les gens croient qu'elle a fait ça délibérément pour se venger.
- Se venger ?! s'exclama Alice, mais de quoi pourrait-elle bien vouloir se venger ?
- Et bien, j'ai entendu mon père raconter à ma mère qu'après la disparition de tes parents, la plupart des gens de la cour ont tourné le dos à ta famille. Ta tante a perdu son pouvoir et ton grand père a fait le serment de ne plus utiliser le sien. »
Alice était abasourdie. Et en colère aussi. Mais elle ne voyait pas sa tante se muer en empoisonneuse vengeresse et rancunière. « Ma tante ne ferait jamais une chose pareille, les gens doivent bien se douter qu'elle est incapable de faire du mal à une mouche ! Et puis je suis certaine qu'Anette à quelque chose à voir là-dedans !
- À voir dans quoi ? » La rousse avait surgi de nulle part.
- Alice et Janice échangèrent un regard paniqué. « Heu... on parlait des fées bleues, dit précipitamment Alice.
- Oui ! poursuivit Janice vivement, on se disait qu'on ne les voyait plus beaucoup dans le jardin. Et que tu y es pour quelque chose forcément.
- C'est ça, renchérit Alice, depuis qu'elles t'ont attaquée Madame Elisa les a vraiment calmées ! »
La jeune femme les observa d'un œil soupçonneux. Et Alice ne sut pourquoi, mais un frisson parcourut son échine lorsque leurs regards se croisèrent. 

Alice Mervel, Les Secrets du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant