CHAPITRE 15 : Le Sombre Chapelier.

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Alice se figea.
Les épaules de l'homme se mirent en mouvement et il se leva de toute sa hauteur. Il se retourna lentement et Alice découvrit son visage.
Ces yeux énormes et épouvantables, ce chapeau, cette voix sombre : elle se tenait face au Sombre Chapelier.
Comme paralysée, elle ne bougeait pas. Elle aurait voulu s'enfuir à toutes jambes, mais c'était comme si son corps ne lui obéissait plus. Le sombre chapelier la regardait intensément. Ferme les yeux Alice, souviens-toi, il contrôle l'esprit des gens, se dit-elle. Elle ferma les yeux.
« C'est inutile, je n'ai pas besoin d'utiliser quoi que ce soit de magique pour te faire peur, dit le chapelier, je vois que ma réputation me précède et que tu sais qui je suis. Mais laisse-moi me présenter dans les formes ! »
Alice rouvrit les yeux pour le regarder. Il enleva son chapeau et s'inclina devant elle dans une révérence exagérée : « Romuald Lechapelier, plus connu sous le nom du Sombre Chapelier. Je suis enchanté de te rencontrer enfin Alice Mervel ! »
Alice réfléchissait à toute vitesse. L'imposteur devait travailler pour cet homme, et c'est donc ici qu'il avait disparu tout ce temps. « Co... comment... savez-vous qui je suis ? Parvint à articuler Alice
- Ho mais je sais beaucoup de chose, répondit le chapelier d'un ton badin, figure-toi que j'étais là le jour de ta naissance. Ce fut malheureusement aussi le jour où ton très cher père m'a enfermé ici, dit-il avec une colère soudaine. Je vois que tu as enfin rencontré Narcisse.
- Qui est Narcisse ? demanda Alice d'une voix incertaine
- C'est la personne qui t'a envoyé ici. Je crois bien que tu l'appelais Anette.
- Pourquoi l'avez-vous envoyé me chercher ? Que me voulez-vous ?
- Et bien cela me semble évident tu ne crois pas ? »
Le Sombre Chapelier lui fit signe de regarder autour d'elle.
« Je veux que tu me sortes d'ici. C'est ton père qui m'y a enfermé, il me semble que ce ne serait que justice que sa fille m'en sorte, ne penses-tu pas ? Seul un retourne-temps peut ouvrir la porte vers l'autre monde, lui dit-il.
- Vous êtes un meurtrier, dit Alice, qu'une colère avait envahi, je ne peux pas vous laisser sortir. Mon père vous a enfermé ici pour de bonnes raisons.
- Ho, mais c'est qu'elle a du courage. Tu sais, tu ressembles beaucoup à ta mère. Elle aussi a essayé de me défier. Et tu as vu le résultat ? »
Alice sentit une fureur foudroyante la gagner et des larmes lui montèrent aux yeux. « Vous êtes un monstre, lui dit-elle entre ses dents
- Hoo Je sais, je sais, lui dit-il en riant, et l'on m'a donné des noms bien pires. Ton père a été très inspiré en créant cet endroit. Quelle meilleure prison pour un homme comme moi qu'un monde à l'envers ? »
C'était donc ainsi que cet endroit s'appelait. Et c'était son père qui l'avait créé. Elle songea brusquement que son père devait être ici aussi. « Est ce que... est ce que mon père est...
- Mort ? L'interrompit le chapelier. Il prit une mine triste : Je le crains fort, ma chère. »
Alice fondit en larmes. Elle ne pouvait pas craquer maintenant, mais c'était trop pour elle. Le meurtrier de ses parents était là devant elle, la menaçant. Janice, pense à Janice, se disait-elle. Mais elle ne pouvait pas laisser sortir ce monstre. La montre de son père se mit à émettre un cliquetis. Alice baissa les yeux vers sa poche.

Elle évalua ses options. Il fallait qu'elle sorte de cette remise, et qu'elle retrouve la trappe. Mais le Sombre Chapelier allait sûrement la poursuivre et l'empêcher de sortir. Il était plus grand qu'elle et aussi beaucoup plus fort. Il la regardait toujours fixement.
Elle se décida alors à bouger. Elle fit un pas en arrière.
« Où penses-tu aller ?
- Je ne peux pas vous laisser sortir, lui répondit Alice en essayant de reculer encore un peu. »
La porte ne devait pas être si loin, se dit-elle.
« Et je ne peux rester ici. J'ai l'impression que nous avons là un sacré dilemme à résoudre. Et je sais que tu n'es pas arrivée ici de ton plein gré. Puis-je te montrer quelque chose ? » lui dit-il avec une lueur d'excitation dans ses yeux épouvantables.
Sans vraiment attendre une réponse, il se dirigea vers l'un des miroirs du mur. Il prononça une formule étrange tout en posant sa main sur la surface miroitante. Doucement se dessinèrent les contours de la bibliothèque du manoir. « JANICE ! s'écria Alice en voyant son amie toujours assise, l'imposteur près d'elle faisant les cent pas.
- Elle ne peut pas t'entendre. Vois-tu, j'ai eu le temps d'acquérir quelques talents depuis douze ans, dont la magie des miroirs. C'est ainsi que j'ai pu rentrer en contact avec Narcisse. C'est ainsi que j'ai pu te voir arriver au manoir. J'ai voulu organiser ton enlèvement, mais ce stupide imposteur ne s'était même pas assuré que tu avais bien pris le poison. »
L'air démoniaque, il s'esclaffa. « Mais finalement, tu es là, et si tu ne veux pas que j'ordonne à Narcisse de tuer ton amie, tu vas faire tout ce que je te dis. »

Alice, qui avait profité de l'occasion pour reculer le plus possible, se tenait prête à s'enfuir en courant. Le chapelier enleva sa main du miroir. « Voudrais-tu voir autre chose ? »
Il posa à nouveau sa main sur le miroir : « J'ai toujours adoré regarder mes vieux souvenirs. » Dit-il d'un ton calme, alors que les contours d'une pièce prenaient forme sur la surface.

Une chambre alors se distingua clairement. Une jeune femme blonde et menue se tenait debout en robe de chambre. C'était sa mère. Elle était terrifiée. Le sombre chapelier avançait vers elle. Un homme aux cheveux couleur chocolat arriva en courant dans la pièce. Son père. Mais il était trop tard. Le chapelier avait attrapé sa mère par la taille et plongeait son regard dans le sien. Sa mère, dans un hoquet de terreur secouant tout son corps d'un spasme violent, s'effondra sans vie dans les bras du monstre. Alice vit son père hurler et se jeter sur le sombre chapelier, avant que les deux hommes ne disparaissent soudainement.
Le chapelier enleva sa main du miroir. Il prit un air nostalgique. « C'est tellement dommage, ça aurait pu se passer autrement. Ton père n'aurait jamais dû se mettre sur mon chemin. »

Hypnotisée par l'horreur de la scène qui venait de se dérouler sous ses yeux, Alice n'émettait aucun son.

Est-ce qu'elle courait ?

Elle ne le comprit que lorsqu'elle trébucha sur un miroir et tomba avec fracas parmi les bris de verre.
Elle sentit une douleur dans son mollet et vit avec horreur qu'elle s'était blessée, profondément. Du sang s'écoulait abondamment de la blessure qu'elle venait de se faire.
Elle se leva précipitamment et vit le sombre chapelier contourner le comptoir. Elle se remit à courir, sans regarder derrière, sans penser à la douleur qui lui courait maintenant le long de la jambe.
« TU NE POURRAS PAS M'ÉCHAPPER ALICE ! » hurlait le chapelier d'une voix plus terrifiante que jamais.
Mais Alice ne regarderait pas derrière elle. Elle courait, de toutes ses forces, pour éloigner ce monstre d'elle, de sa famille, de Janice.
Combien de temps s'était écoulé ? Elle ne le savait pas, mais elle vit bientôt les contours du manoir. Sans s'arrêter ni se retourner, elle rejoignit l'étendue d'herbes sèche. Elle n'entendait plus le sombre chapelier lui courir derrière.

Elle atteignit la trappe. Elle s'apprêtait à descendre dans la tour pleine de rouages quand une main lui agrippa le bras violemment.
Le chapelier ! Alice ne sut comment il était arrivé aussi vite et aussi silencieusement derrière elle. « JE TE TIENS ! »
S'il utilisait son monocle sur elle, tout était perdu. Mais il se contenta de la tenir fermement, serrant son bras si fort qu'elle crut qu'il allait se briser. « LAISSEZ-MOI PARTIR !! » hurlait-elle de toutes ses forces en ruant et en se débattant.
Quoi qu'elle fasse, elle n'arrivait pas à lui faire desserrer son étreinte.
« Mais qu'est-ce que... »
Alors Alice vit le monstre se figer. Mais il ne la regardait pas. Elle tourna les yeux vers ce qui avait attiré son attention. Une masse sombre venait de se former en face d'eux.
Une centaine de colibris volait dans leur direction. La nuée, qui se mouvait comme un seul corps, bourdonnait bruyamment.
Alice les observait avec autant de stupeur que le Chapelier, dont le visage avait pris une expression de fureur.
En moins d'une seconde, les colibris furent sur le Chapelier. Il lâcha le bras d'Alice pour se protéger le visage. Les colibris, féroces comme jamais, s'attaquaient à ses yeux sans relâche.
Alice, qui était enfin libre, plongea à travers la trappe. Sans même réfléchir une seconde, elle se mit à descendre les rouages, l'un après l'autre. Elle laissait derrière des gouttes de sang qui coulait encore de sa jambe blessée. Les cris du Chapelier résonnaient de plus en plus loin. Elle sortit la montre de son père dès qu'elle atteignit le sol. Son cœur battait si fort qu'elle l'entendait battre dans ses oreilles.

Elle ferma les yeux et appuya sur le bouton qui l'avait amené dans le monde à l'envers. Elle sentit l'odeur familière des livres de la bibliothèque. Mais lorsqu'elle ouvrit les yeux, la bibliothèque se mit à tourner, et elle ne vit que la silhouette de Madame Elisa avant de sombrer dans le néant.

Alice Mervel, Les Secrets du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant